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Les lansquenets d'Europe - Page 7

  • B à Ba

    par Gabriele Adinolfi

    apiefiori.jpgNous ne sommes pas avec les Russes, nous ne sommes pas avec les Américains, nous ne sommes pas avec les Israéliens. Nous ne sommes pas avec les atlantistes, et nous ne sommes pas avec ceux qui se rejouissent du terrorisme tiers-mondiste ou de la menace de tout effondrement ici. Nous ne serons jamais souverainistes, nous ne serons jamais mondialistes. Nous ne soutenons aucune catastrophe, aucune invasion, aucun sauveur extérieur. Nous ne sommes ni avec Trump, ni avec Poutine, ni avec aucun satrape non européen. Nous refusons d'être mis dans les schémas en vogue, et nous ne sommes pas assez stupides pour croire que nous sommes intelligents en choisissant l'un des camps virtuels qui nous lobotomisent.
    Soutenir les Russes, les Américains, les Israéliens, les souverainistes, les mondialistes, les atlantistes ou les tiers-mondistes revient à choisir sa propre Chambre 101 du Big Brother. Et, quelle qu'on choisisse entre elles, au final, elle sera exactement identique aux autres.
    Nous croyons en la centralité de l'Europe, en la libération de toute hypnose, en premier lieu celles qui nous semblent séduisantes, et en l'action sur nous-mêmes.
    Parce que c'est d'ici que tout commence et que tout peut et doit être fait, c'est là le paradigme selon lequel tout doit être abordé. 
    Ça c'est nous. Certains cherchent leur identité en quelqu'un d'autre et ne la trouveront jamais. Nous n'avons pas besoin de la chercher: nous l'avons toujours eue et ne l'avons jamais reniée.

  • Libérons nos cerveaux !

    cervello.jpgpar Gabriele Adinolfi

     

    Du Donbass à Gaza, les mononeuronaux exaltés sont prisonniers de la même folie. Pour eux, il s'agit d'une question d'annihilation mutuelle entre deux positions qui n'admettent pas d'alternatives ni de nuances.
    Commençons par la question ukrainienne, où depuis vingt mois, ceux qui ont defendu la barbare et insensée boucherie russe affirment qu'il faut soit soutenir cette horreur, soit être des serviteurs des Américains.
    Pour ces individus qui n'utilisent pas trop leur matière grise, il est inconcevable de défendre un peuple agressé et nié, dont on cherche à anéantir l'identité et la souveraineté, tout en traçant un chemin qui n'a rien à voir avec celui des Américains. Ils ne conçoivent plus, admettant qu'ils l'aient jamais fait, que l'on puisse établir des critères fondamentaux tels que la justice, la sympathie de sang et de culture, une optique de centralité de l'Europe, et combattre ainsi une tenaille impérialiste. Pour eux, il s'agit de soutenir soit une mâchoire, soit l'autre, et ils parlent de liberté !
    Ils rejettent toute analyse, toute évaluation, toute donnée, tout raisonnement, même toute preuve qui passent sous leurs yeux, cars ils refusent d'admettre que, volontairement ou non, les impérialistes dont ils sont devenus les serviteurs sous prétexte de se débarrasser des autres, sont l'un et l'autre objectivement complices de leur "ennemi", le renforcent et jouent son jeu.

    La même chose s'applique à Gaza, quelle que soit la distorsion mentale des uns et des autres. Que l'on parle de sionistes de complement (noachides selon le vocabulaire hébreu) ou d'antisémites de pacotille (d'ailleurs le terme "antisémite" dans le specifique est inapproprié), le résultat ne change pas. Soit on pretend qu'il faut condamner sans réserve l'assaut du Hamas et effacer toutes les fautes des soixante-quinze ans d'impérialisme oppressif et génocidaire aux dépens des Palestiniens ("il n'y a pas de justification" est le leitmotiv), soit on devrait glorifier la Djihad et justifier ses horreurs ignobles.
    Il devient secondaire que Hamas, quelles que soient sa complexité et la multiplicité de ses parrains et de ses financiers actuels, au départ ait été créé par les Israéliens contre l'OLP, et qu'il soit depuis toujours une pièce dans les mains de diverses oligarchies criminelles qui jouent des jeux obscurs (qatariotes, israéliens, iraniens), des oligarchies qui, objectivement, sont beaucoup moins ennemies entre elles qu'elles ne le prétendent. 
    Le fait que Hamas soit toujours prêt à sacrifier non seulement les vies des israéliens mais aussi le sang palestinien, en suscitant constamment des représailles pour maintenir cette tension qui profite à ses manipulateurs en leur assurant un rôle dans le jeu de la terreur, et un considerable flot d'argent, ne devrait pas être pris en compte, serait non pertinent.
    Que les comportements du Hamas et de l'appareil politico-militaire israélien soient complémentaires, qu'ils se nourrissent mutuellement et qu'ils empêchent ensemble la réalisation d'un véritable État palestinien semble ne pas compter du tout. Ceux qui font remarquer que l'assaut de samedi dernier ne peut être compris sans le situer dans un contexte plus vaste, plus étendu et plus important, sont automatiquement considérés comme partisans du Hamas, de la Jihad, de la guerre contre un Occident auquel Israël s'associe automatiquement par des automatismes inconscients, et comme des complices des impérialistes mafieux iraniens ! Et malheur à celui qui souligne que ces derniers ont même été pris au dépourvu, peut-être dans un conflit interne, et que, pour la même raison, les appareils israéliens ne sont pas sans faute. 

    Au contraire, je revendique non seulement le droit, mais le devoir de la Troisième Voie, qui n'est jamais neutre et choisit toujours son camp, mais ne se plie pas aux schémas binaires des oligarchies qui sont ceux de la guerre psychologique en cours depuis quatre-vingt ans. Soutenir toujours les causes les plus justes et la liberté de tous les impérialistes, qu'ils soient américains, russes, israéliens ou, à une échelle plus réduite, iraniens, turcs, wahhabites. Le faire au nom de l'Empire centré sur l'idée de l'Europe, en rejetant toutes les créatures de l'impérialisme visant destructurer les peuples et leur volonté de puissance (du souverainisme de droite au tiersmondisme de gauche). Dénoncer toujours les complicités mafieuses entre les impérialistes et leurs outils (États-Unis et Russie, Israël et Hamas) et refuser de se laisser emporter par l'hystérie collective qui produit constamment des factions-ghettos célébrant les rituels qui perpétuent la domination des Grands Frères. Voilà ce que je souhaite que se fasse !

    Cependant n'oublions pas que qui que soit à ramporter la partie au Moyen-Orient, la cause nationale palestinienne est instrumentalisée et n'a guère de chances de succès à court terme. L'avancée des organisations islamiques ou islamistes a introduit une logique internationaliste et fondamentaliste qui l'étouffe. 
    Les images terrifiantes et inacceptables de lynchage au cri de "Allah Akbar" qui nous indignent parlent à toutes les banlieues européennes et à leur revanchisme ethno-social. Les attentats se multiplieront probablement, en partie spontanément, en partie par des impulsions étrangères (turques, wahhabites, iraniennes), à cause des manigances des guerres obliques (anglaises, américaines, russes, israéliennes), sans exclure les jeux machiavéliques des services de renseignement internes.
    Le 7 octobre déclenchera probablement une offensive de terrorisme internationaliste et fondamentaliste contre nous tout en portant préjudice à la cause palestinienne. Il est aussi difficile de dire quels effets cela aura en Israël et dans les relations israéliennes avec le monde.

  • Le monde merveilleux de Rollerball

    Georges Feltin-Tracol

    Rollerball.jpg

    Film du Canadien Norman Jewison dont les extérieurs sont tournés à Munich en Bavière dans un quartier à l’architecture futuriste, Rollerball sort en 1975. Y jouent Maud Adams, James Caan, John Beck et John Houseman. Le scénario revient à William Harrison (1933 - 2013) qui adapte ainsi sa nouvelle, « Roller Ball Murder », parue en 1973 dans le magazine Esquire (1). Le futur réalisateur du film l’avait grandement appréciée (2).

    Professeur à l’Université de l’Arkansas, William Harrison n’est pas un écrivain de science-fiction. Il vise plutôt la littérature générale. L’idée de cette nouvelle d’anticipation remonte au début de la décennie 1970. L’auteur assiste un jour à une rencontre de basket qui dégénère. Il observe, atterré, toute la satisfaction du public devant cette bagarre. Norman Jewison a eu la même impression lors d’une rencontre de hockey sur glace entre Philadelphie et Boston. Il comprit que le public attendait avec passion que la compétition virât en pugilat. Tous deux pensèrent aux combats de gladiateurs de la Rome antique.

    L’auteur de la nouvelle étant le scénariste du film, il y a une réelle complémentarité entre les deux même si le film se permet de développer quelques sous-entendus textuels. Le film qui a bien vieilli montre quelques innovations techniques. Si, dans la nouvelle, Jonathan E conduit une « voiture électrique », dans le film, chaque pièce d’appartement comporte un grand écran plat accroché au mur et surmonté de trois petits écrans qui assurent un visionnage simultané selon des angles de vue différents du même reportage : la « multivision ».

     

    Qu’est-ce que le rollerball ?

     

    L’une des différences majeures entre la nouvelle et son adaptation cinématographique concerne le nombre de participants dans chaque équipe. Dans le film, l’équipe compte sept joueurs sur patins à roulettes et trois motards. La nouvelle mentionne la présence de « dix patineurs, cinq motards, cinq coureurs (ou matraqueurs) ». Les coureurs « enfilent leurs gros gants de cuir et empoignent leurs battes en forme de crosse dont ils se servent pour détourner les balles ou pour essayer de […] frapper » alors que dans le film, les joueurs n’ont pas de batte, mais des gants cloutés. Toujours dans le film, la balle est tiré devant les joueurs alors que dans « Roller Ball Murder », elles « arrivent toujours par-derrière ». La réduction du nombre d’équipiers s’imposait pour un film qui coûta plus de cinq millions de dollars, même s’il en rapporta quatre fois plus.

    Pendant le tournage des scènes de sport, cascadeurs et acteurs se prirent vite au jeu et commencèrent à jouer réellement au rollerball. Les figurants qui représentaient les spectateurs se montrèrent eux aussi très enthousiastes. Harrison et Jewison reçurent ensuite avec horreur des propositions financières élevées pour faire du rollerball un véritable sport. Jeu apprécié des féministes, le derby roller semblerait en être une version moins violente...

    Les rencontres de rollerball se déroulent sur une piste inclinée de cent soixante-quinze mètres en forme d’« anneau ovale de bois […]; la piste aux bords surélevés mesure cinquante mètres de long sur trente mètres de large aux extrémités; tout en haut, il y a les canons qui tirent ces terrifiantes sphères de dix kilos en ébonite (elles ressemblent à des boules de bowling) à des vitesses supérieures à 500 km/h. Les balles se promènent sur la piste pour ne ralentir et tomber qu’en perdant de leur force centrifuge et lorsqu’elles atteignent le sol ou heurtent un joueur, on lâche une nouvelle salve ». Chaque équipe doit prendre et conserver la balle afin de la mettre dans le pavillon adverse. S’« il y a deux arbitres […] et un juge qui enregistre les points marqués », les règles – compliquées à souhait - évoluent au fil de la saison avec en final leur suppression totale et un temps de jeu illimitée. Dans la nouvelle, la fin de la saison signifie le lancement simultané de trois, puis quatre balles ! En revanche, tous les coups sont permis et le décès de rollerballeurs n’est pas exceptionnel.

     

    Un monde de monopoles économiques

     

    Ce qui doit primer dans le rollerball, c’est « le jeu, toujours le jeu, gloire au jeu » scande « l’hymne de la société anonyme ». Or, par son talent, son sens du jeu et son courage, Jonathan E devient au cours de sa longue carrière une immense vedette. Sa célébrité irrite de plus en plus les autorités dirigeantes planétaires, car le monde du rollerball correspond à un « État universel ».

    Après « la Grande Guerre asiatique des années 90 », « les sociétés privées […] remplacent les nations et […] les forces de police des sociétés [c’est-à-dire des entreprises de vigiles et de surveillance privée] […] supplantent les armées ». Ce gouvernement entrepreneurial planétaire procure à la population un haut niveau de vie et un très grand confort matériel en échange d’une limitation draconienne des libertés fondamentales. Outre le permis de mariage, la crémation des défunts est obligatoire, car « les enterrements ne sont pratiquement plus autorisés ». On apprend que « les villes sont tellement inhabitables qu’il faut avoir un passeport d’affaires pour pénétrer dans des mégapoles comme New-York ». Le film reste silencieux sur ce point et semble indiqué le contraire. Enfin, « seuls quelques rares privilégiés de la classe des cadres ont la possibilité de manger de temps en temps de la viande pour les changer de la chair insipide des poissons d’élevage ».

    Cet État mondial s’organise autour de « Six Grandes [Sociétés] : Énergie, Transport, Alimentation, Logement, Services et Luxe ». « Les hommes les plus puissants de la terre sont les cadres. Ils dirigent les grandes sociétés qui fixent les prix, les salaires et régissent l’économie générale ». Au nom de l’harmonie sociale, les rencontres de rollerball compensent l’agressivité humaine et canalisent la violence des masses. Bientôt, « des millions de supporters […] ne regardent jamais directement l’action, mais […] se contentent d’étudier ces panneaux de statistique ». « Les statistiques touchant au [rollerball] passionnent autant les foules que tout autre aspect du jeu. »

     

    L’absence de livres

     

    Dans ce monde sûr et ennuyeux, le livre en papier n’existe plus. « Tout est sur bandes. […] Aujourd’hui seuls les spécialistes en informatique peuvent déchiffrer ces bandes et nous sommes revenus au Moyen Âge où seuls les moines savaient lire les écrits en latin. » Dans Rollerball, Jonathan E cherche à comprendre le fonctionnement des corporations (ou des Grandes Sociétés). Il se rend à Genève afin de poser cette question à un super-ordinateur central nommé Zéro. Cette machine préfigure Internet (à l’époque, les militaires étatsuniens commencent à développer son ancêtre, Arpanet). Mais l’ordinateur connaît des déficiences et vient de perdre toutes les connaissances du XIIIe siècle. Il ne répond donc pas à la demande de Jonathan E. Dans « Roller Ball Murder », le champion se souvient dans sa jeunesse des livres (les écrits de Rousseau et Les sept piliers de la sagesse de T.E. Lawrence) rangés dans sa bibliothèque.

    William Harrison ne s’étend pas sur le quotidien de cette société mondiale quand bien même l’action du film se déroule en… 2018 ! On peut supposer que la dématérialisation des activités économiques, l’informatisation des tâches courantes et la robotisation du travail rendent inactives les personnes en âge de travailler, d’où leur dépendance morale et psychologique au rollerball. Y a-t-il un revenu universel ? Probablement, car la primauté accordée au divertissement sportif explique la dépolitisation d’une population sevrée de violence officielle. Cependant, « le fait que les antagonismes économiques, écrit Carl Schmitt, sont devenus politiques et qu’il a pu se former le concept de puissance économique montre simplement qu’à l’instar de tout autre secteur d’activité, l’économie peut s’ouvrir sur une voie qui aboutit au politique (3) ».

    L’incroyable et insupportable propagande autour des Jeux Olympiques de Paris en 2024 n’est-elle pas un signe fort de la volonté de neutraliser des Français mécontents et de leur imposer une forme pacifique d’« union sacrée » ? Nonobstant sa violence intrinsèque, le rollerball sert de ciment socio-culturel à un public sans repère jusqu’au surgissement de Jonathan E. L’actuelle dépolitisation contribue paradoxalement à la repolitisation sous-jacente des esprits parce que la vie est conflit.

     

    Notes

     

    1 : Traduit en français par Michel Lederer sous le titre de « Meurtre au jeu de boules », « Roller Ball Murder » se trouve dans Histoires de l’an 2000, préface de Gérard Klein, présentation de Gérard Klein, Jacques Goimar et Demètre Ioakimidis Le Livre de poche, coll. « La grande anthologie de la science- fiction », 2e série, 1985, pp. 21 – 42.

     

    2 : On oublie Rollerball, une production germano-nippo-étatsunienne réalisée par John McTiernan avec Jean Reno sortie en 2002 et qui est la seconde adaptation de la nouvelle « Roller Ball Murder ». Parler de navet serait encore élogieux à l’égard de ce film qui ne relève même pas de la série Z !

     

    3 : Carl Schmitt, La notion de politique – Théorie du partisan, préface de Julien Freund, traduit par Marie-Louise Steinhauser, Flammarion, coll. « Champs », 1992, p. 125.