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L’actualité de Spengler

Georges Feltin-Tracol

 

Spengler.jpgSouvent évoqué, rarement lu et encore moins compris, Oswald Spengler (1880 – 1936) fait l’objet d’a priori fréquents et guère sérieux. Seulement connu pour sa thèse majeure parue en deux tomes, Le déclin de l’Occident (1918 et 1922), il a aussi écrit d’autres essais tout aussi percutants : Prussianité et socialisme (1919), L’Homme et la technique (1931) ou Années décisives (1933). Sa notoriété relative n’évite pas que ses réflexions demeurent engoncées dans une gangue peu subtile.

Or, depuis quelques années, on le redécouvre. En France, son principal connaisseur universitaire, Gilbert Merlio, a publié en 2019 Le début de la fin. Penser la décadence avec Oswald Spengler (PUF). Belge de langue allemande et polyglotte accompli, David Engels n’a jamais caché son admiration pour les écrits d’Oswald Spengler. Ses propres travaux s’en inspirent plus ou moins directement. En 2018, il contribue à la fondation de la Spengler Society qu’il préside. Elle entend poursuivre, défendre et diffuser la vision du monde de cette figure à part de la « Révolution conservatrice ».

Dans le cadre de la collection « Longue Mémoire de l’Institut Iliade », les éditions de la Nouvelle Librairie ont précisément demandé à David Engels d’offrir en soixante-dix pages une présentation succincte de l’homme, de son œuvre et de sa pensée, d’où cet Oswald Spengler. Introduction au Déclin de l’Occident. Ce format court et concis répond pleinement à la demande d’un public jeune qui a perdu pour cause du délabrement avancé de l’école l’habitude de lire et qui ne pourrait plus se concentrer sur cinq cents pages.

En de brefs et intenses chapitres, David Engels balaie l’ensemble du sujet avec une belle maîtrise. Il en profite pour apporter en note des éléments biographiques méconnus sur le traducteur français du Déclin de l’Occident dont la réalisation finale balance entre déficience et contre-sens. Kabyle originaire d’un département français d’Algérie, Mohand Tazerout (1893 – 1973) a « produit une œuvre philosophique et politique considérable » dont La Pensée politique de Moeller van Den Bruck (1936) ou une Histoire politique de l'Afrique du Nord (1961).

David Engels rappelle qu’Oswald Spengler est d’abord et avant tout un philosophe de l’histoire qui postule avec sagacité « l’existence d’entités sociales appelées “ Kulturen “ comme les plus grandes actrices possibles de l’histoire de l’humanité, qui n’a elle-même ni un véritable but philosophique ni un sens métaphysique en soi ». Il suppose aussi que les cultures égyptienne, babylonienne, indienne, chinoise, gréco-romaine, « magique » - comprendre « arabe, à laquelle appartiennent le judaïsme messianique, le christianisme primitif et byzantin ainsi que l’islam » -, méso-américaine, occidentale et russe « coexistent dans le temps et dans l’espace et interagissent [...] entre elles dans une certaine mesure, mais n’ont pas de véritable lien spirituel entre elles ». Spengler avance que « le développement interne de ces cultures se déroule essentiellement de manière parallèle et correspond exactement aux étapes de l’évolution d’un être vivant ». Lecteur assidu de Goethe et de Nietzsche, Oswald Spengler livre une interprétation vitaliste de l’histoire.

La confusion, voire le mélange entre ces cultures, lui paraît impossible parce que « chacune de ces neuf cultures se caractérise par un Seelenbild (une “ image mentale “) spécifique et inimitable, largement inaccessible de l’extérieur ». L’« interopérabilité » ou l’acculturation réciproque des cultures à un moment crucial de l’histoire débouche parfois sur le concept de pseudomorphose, ce que n’évoque point David Engels. En géologie, une pseudomorphose signifie qu’un minéral prend l’apparence d’un autre minéral. Pour Spengler, cette notion correspond à la mise en place d’un contenu nouveau à l’intérieur du cadre d’un système existant. Celui-ci donne ainsi l’illusion de se perpétuer alors qu’il a, dans les faits, radicalement changé de nature.

La lecture d’Oswald Spengler suscite un sentiment de « pessimisme héroïque » parce que l’achèvement d’un cycle de culture en entraîne nécessairement un autre. Bien que reconnaissant que les écrits de Spengler peuvent verser dans l’erreur ou l’inexactitude, voire l’obsolescence des recherches scientifiques. David Engels estime que « la “ morphologie culturelle “ reste une méthode essentielle afin de comprendre ce phénomène historique qu’est la “ civilisation “ ». Toutefois, il suggère d’étendre le nombre de cultures à l’iranienne, à la chinoise dao-bouddhiste, à la nipponne, à l’olmèque, à l’andine ou au sud-est asiatique.

Dans un troisième tableau synoptique anticipateur, Oswald Spengler considérait le monde comme butin vers l’an 2000. Il annonçait même l’avènement d’un nouveau césarisme, y compris si ce néo-césarisme s’incarnerait en des meneurs industrieux tels les oligarques de la haute technologie comme Mark Zuckerberg et Elon Musk. Le déclin de la civilisation européenne est-il fatidique ? Oui, si l’on suit le déroulement du cycle. Mais, loin d’être abattu par cette perspective angoissante, David Engels, théoricien novateur de l’hespérialisme européen, croît que les difficultés et la complexité de l’ère contemporaine peuvent permettre à une minorité des Européens d’impérieuse volonté à renouer avec le désir de participer à une « Grande Politique » continentale. En revanche, affirmer que l’avant-garde d’une nouvelle révolution hespérialiste qui « est en train de redécouvrir la liturgie et la spiritualité du christianisme traditionaliste » s’apparente à un optimisme béat. L’auteur oublie-t-il les effets délétères du concile Vatican II et les décisions délétères récentes du « pape » Bergoglio qui ne cesse de soutenir les migrants ? Ne faudrait-il pas au contraire à abandonner à l’universalisme et à (re)découvrir ces principes fondateurs pour une nouvelle cité albo-européenne que sont l’ethno-différencialisme et la pluriversalité ?

La pensée spenglérienne n’a pas fini de se déployer dans le contexte chaotique d’un âge post-moderniste aux élans catagogiques flagrants et malsains.

 

 

 

David Engels, Oswald Spengler. Introduction au Déclin de l’Occident, Éditions de la Nouvelle Librairie, coll. « Longue Mémoire de l’Institut Iliade », 2024, 84 p., 9 €.

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