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  • L’illusion militaire hexagonale

    Georges FELTIN-TRACOL

    Merchet.jpgAncien journaliste à Libération, Jean-Dominique Merchet est le porte-parole officieux de l’état-major français. Il collabore aujourd’hui à L’Opinion, un quotidien de la galaxie de l’extrême centre (comprendre le macronisme et ses succédanés). Ce spécialiste du fait militaire s’interroge sur la capacité réelle des Français à vivre une guerre majeure avec une puissance étrangère équivalente (on ne parle pas d’un conflit avec Monaco, la Belgique ou les Fidji, ni d’une série d’attentats organisés par des terroristes).

    Son propos concerne un conflit conventionnel qualifié de « haute intensité » (termes qu’il récuse) et qui s’apparenterait à l’actuelle guerre entre l’Ukraine et la Russie, voire entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. L’auteur pense ses compatriotes capables de tenir le choc émotionnel à l’instar des Ukrainiens. On ne sera pas aussi optimiste sur l’état d’esprit et la résilience de la population française en cas de bombardements fréquents, de coupures quotidiennes d’eau et d’électricité et de pénuries généralisées. Toutefois, son essai rappelle des faits têtus et occultés très inquiétants.

     

    Des forces multi-opérationnelles de petite dimension

     

    En cas de conflit de haute intensité entre deux armées conventionnelles, les unités françaises ne pourraient qu’un front long de… 80 km ! Et pourtant, « la France est présente dans le club fermé des puissances nucléaires, spatiales, des capacités de commandement, de l’“ entrée en premier “, des forces spéciales, des porte-avions, des sous-marins nucléaires, des partenariats militaires, de l’aviation de combat, de l’hypersonique, du cyber, etc. » En fait, « l’armée française, c’est l’armée américaine, mais en version bonzaï. » L’auteur assène que, « depuis trente ans, l’armée française n’est plus organisée d’une manière lui permettant de remonter en puissance. Elle […] est une armée d’emploi à flux tendu. Et même parfois très tendu ». Il ajoute que « l’armée françaises n’a pas toujours été dans le passé, tant s’en faut, une armée de vainqueurs ». Il regrette maintenant qu’elle « continue à préférer Tahiti à Varsovie, le “ grand large “ au Centre-Europe ». Serait-il favorable à l’autodétermination des territoires français d’Océanie ? Il semble n’avoir toujours rien compris à l’importance stratégique de la thalassopolitique.

    Jean-Dominique Merchet avance que les forces françaises n’ont pas les moyens nécessaires pour assumer l’ensemble de leurs missions entravées par le maintien de la force de frappe atomique. Il estime qu’en 2013, la dissuasion nucléaire coûtait 380 milliards d’euros ! Cette charge est-elle toujours supportable pour une France en faillite latente ? Il souligne que « de plus de trente ans, nous choisissons donc les guerres que nous menons, en les qualifiant d’ “ interventions “ ou d’ “ opérations “ ». dans le même temps, la professionnalisation n’attire pas en raison de la faible attractivité de la carrière militaire. L’engagé découvre vite les nombreuses contraintes qui phagocytent sa vie privée. La dégradation de la condition physique et de l’état d’esprit des candidats (obésité et dépendance aux écrans) contribue à cette désaffection. L’auteur s’oppose cependant au retour du service militaire obligatoire. Il s’offusque que des personnages politiques et des publicistes réclament le déploiement de la troupe dans les banlieues de l’immigration. Il craint que cette présence provoque au final une situation comparable aux « Temps des Troubles » en Irlande du Nord entre 1968 et 1998. Il prône en revanche le renforcement de la réserve militaire ainsi que de meilleures campagnes publicitaires qui inciteraient les jeunes adultes (garçons et filles) à un engagement à moyen terme.

     

    Une économie militaire en déshérence

     

    L’auteur pointe par ailleurs les faiblesses structurelles de l’industrie française de l’armement qui subit le contrecoup désastreux de la désindustrialisation du pays sous les coups mortifères d’une économie mondialisée, « tertiarisée » et financiarisée. Les chars Leclerc demeurent en sous-effectif chronique. La France ne dispose plus d’appareils productifs industriels indépendants pour fabriquer des munitions de petit calibre et des fusils d’assaut sans oublier le fiasco franco-européen des drones. C’est une véritable catastrophe pour un secteur majeur en matière d’exportations.

    Ces manques cruciaux affaiblissent la BITD (base industrielle et technologique de défense). « En France, c’est un secteur industriel composé de neuf grands groupes (Airbus, Thales, Safran, MBDA, Naval Group, Dassault, Nexter, CEA, ArianeGroup), de plus de 4 000 petites et moyennes entreprises, dont 450 considérées comme “ stratégiques “ par le ministère des Armées. » Or, précisément, « la capacité de nombreuses PME à recruter du personnel qualifié et à se fournir en matières premières (souvent importées) fait partie de la défense nationale ». Résultat, « en Occident, les stocks d’armes et de munitions sont trop faibles pour alimenter durablement un conflit de haute intensité. Surtout, les capacités industrielles de remontée en puissance se révèlent à la fois limitées et trop lentes ». La France n’est pas prête. Nous revoilà à la veille de 1870 !

    Ses fortes critiques omettent toutefois le véritable motif de cette faillite. Outre l’avènement d’une société égotiste qui rend toute discipline collective difficile, il ne mentionne pas les critères budgétaires de Maastricht qui s’étendent au domaine de la défense. Il devient ardu d’élever les dépenses militaires à 2 % du PIB dans le cadre de l’OTAN tout en respectant sous les fameux 3 % à moins de serrer le cordon de la bourse ou de limiter les dépenses sociales ou culturelles...

    La France peut faire une guerre pendant une heure au moins. Après... Jean-Dominique Merchet parie sur les capacités de survie psychologique de la population française. Elle saura surtout réagir aux attaques par des incantations pacifistes, des bougies allumées à la place des cadavres ramassés, des peluches déposées devant les bâtiments détruits et de la vaseline. On saura moins optimiste en tant que francovacantiste assumé.

     

    GF-T

     

    Jean-Dominique Merchet, Sommes-nous prêts pour la guerre ? L’illusion de la puissance française, Rober Laffont, 2024, 224 p., 18 €.