par Georges FELTIN-TRACOL
Le 15 août 2014 décédait brutalement à l’âge de 69 ans Jacques Marlaud à Roanne, sous-préfecture septentrionale du département de la Loire en région Rhône-Alpes. Il se présentait souvent en « second couteau » de ce grand courant d’idées qui traverse depuis plus de cinquante ans l’Europe, mais aussi les Amériques et même l’Asie et l’Afrique et qu’une grasse presse malintentionnée a qualifié improprement de « Nouvelle Droite ».
Né à Alger le 4 décembre 1944 dans une famille nullement « pied-noire », Jacques Marlaud grandit en région parisienne. Il adhère très tôt à la FEN (Fédération des étudiants nationalistes) dans le tumulte de la crise algérienne (1954 - 1962). Il rejoint ensuite les rangs d’Europe Action. Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, il participe aux premières campagnes contre l’immigration nord-africaine en France. Il trace des lettres blanches majuscules sur les murs de Paris en plein milieu de la nuit des slogans hostiles au régime gaulliste, à la gauche et au cosmopolitisme.
Ces opérations de propagande active s’achèvent régulièrement au poste de police dans le cadre d’une garde à vue. Niant avoir écrit quelque soit sur les murs, les militants de la FEN et d’Europe Action profitent des longues heures passées en cellule pour lécher les mains et effacer toute trace de peinture. La preuve disparue, les pandores ne peuvent que les relâcher !
Outre des questions d’affects personnels, la rupture entre Pierre Sidos (1927 - 2020) et Dominique Venner (1935 - 2013) repose sur trois désaccords fondamentaux : l’orientation accordée à la dimension européenne de la culture française, le matérialisme biologique qui tend à soutenir sur tous les continents les bastions assiégés du « monde-race blanc » (Sud des États-Unis, Rhodésie, Afrique du Sud, voire l’empire colonial portugais) et le rejet assumé des institutions régaliennes, en particulier la police et l’armée. Un numéro célèbre de la revue Europe-Action encourage par exemple ses lecteurs à l’insoumission et au refus d’effectuer le service militaire.
Des années d’exil et d’errance
Au cours des années 1960, Jacques Marlaud doit servir sous les drapeaux. Son ordre d’incorporation le conduit dans un régiment du génie parachutiste implanté dans le Sud-Ouest de l’Hexagone. La vie en garnison l’agace aussitôt. Il veut bientôt appliquer le mot d’ordre révolutionnaire d’Europe-Action et choisit de déserter. Il franchit à pied les Pyrénées, arrive en Espagne et bénéficie assez vite du statut de réfugié politique. Il mène alors une existence précaire. À la fin de la décennie, il travaille dans un camping près de Barcelone. Il s’approche, un soir d’été, attiré par une certaine nostalgie, d’un groupe parlant français. Surprise ! Il y retrouve des visages connus, ceux d’anciens camarades de la FEN et d’Europe Action ! Ils l’informent du départ volontaire de Dominique Venner, de l’inflexion culturelle proposée par Alain de Benoist et de l’existence du GRECE (Groupement de recherche et d’études de la civilisation européenne). Ils s’échangent leurs coordonnées. Jacques Marlaud renoue le contact avec les fondateurs de la « Nouvelle Droite (ND) ».
Au début de la décennie 1970, Jacques Marlaud traverse à bord d’un navire espagnol la Méditerranée occidentale et atteint le Sud de l’Italie. En auto-stop et avec l’aide des routiers – dont plusieurs pensent transporter un espion de l’Est ! -, il remonte la botte italienne, parcourt la Suisse et se rend en Allemagne fédérale. À Hambourg, il s’éprend d’Ursula Klampermeier issue d’une famille de réfugiés allemands des provinces perdues de l’Est. Les jeunes fiancés choisissent de s’installer en… Afrique du Sud. Jacques Marlaud passe plusieurs entretiens au consulat sud-africain du grand port allemand. Lors du dernier, décisif, il montre aux autorités consulaires au mépris des règles édictées naguère par Dominique Venner sa vieille carte d’adhérent à Europe Action qui comporte un message explicite aussitôt traduit. Le responsable sud-africain lui sourit et lui déclare que la République sud-africaine (RSA) sera ravie de l’accueillir.
En Afrique du Sud, pendant une quinzaine d’années, Ursula et Jacques Marlaud ont sept enfants (quatre garçons dont deux jumeaux et trois filles). Jacques Marlaud travaille à la radio d’État dans le cadre d’émissions nocturnes en langue anglaise. S’il comprend l’afrikaans, il ne le parle pas. À la maison, la langue allemande est de rigueur. À côté de son activité professionnelle, Jacques Marlaud reprend des études universitaires en philosophie et en sciences politiques. En 1982, son mémoire porte sur Nietzsche : decadence and superhumanism. Il s’investit enfin dans la diffusion des idées néo-droitistes en Afrique australe, anime l’European Renaissance Association et publie un périodique bilingue anglais – afrikaans Ideas / Idees.
Jacques Marlaud retourne en France en 1979. À la demande insistante de son épouse, il veut apurer devant la justice sa vieille désertion qu’il solde par quelques jours de détention. Il profite de ce séjour à Paris pour renforcer son amitié avec les figures principales du GRECE. Il organisera sous peu la visite en RSA d’Alain de Benoist, puis de Guillaume Faye. Il leur fait rencontrer plusieurs personnalités, y compris un intellectuel zoulou favorable à l’Apartheid compris comme le développement séparé et différencié des peuples distincts.
Paganisme métapolitique
Son nietzschéisme foncier et son intérêt pour les traditions européennes les plus ancrées l’amènent vers le paganisme. Sous la direction de Jan van Vynck de l’université de Port Elizabeth, il se lance dans un doctorat de littérature française achevé en 1984. Deux ans plus tard, la thèse paraît au Livre-Club du Labyrinthe préfacée par Jean Cau. La proximité de Jacques Marlaud avec les responsables historiques de la ND n’empêche pas une recension sévère Renouveau païen dans la pensée française dans le n° 59 d’Éléments par le littérateur en chef de la revue qu’il ne connaît pas encore (1). Dans l’avant-propos à la seconde édition sortie en 2010, Jacques Marlaud confirme que « l’expression “ renouveau païen “ dans le titre de cet ouvrage ne doit rien au hasard. Elle implique l’originalité aventureuse d’un nouveau départ, la reconnaissance d’une rupture assumée, recherchée, entre foi et raison, eros et agapè, monothéisme et polythéisme des valeurs (2) ».
Jacques Marlaud y annonce des temps tragiques. Il observe en effet « d’une part une croissance de l’anarchie à l’échelle mondiale, la dissolution des ensembles bio-ethniques relativement stables que sont les cultures, la montée démographique et économique des peuples du Tiers Monde et l’implosion de la culture européenne, bref, la fin du monde tel que nous le connaissons, et, d’autre part la grande fatigue simplificatrice, l’œcuménisme totalitaire qui souhaite policer la planète au nom de valeurs qui ne peuvent être que le plus petit commun dénominateur. C’est au point de rencontre de ces deux courants, l’un homogénéisant et l’autre hétérogénéisant que se situe le néo-paganisme. [… Le paganisme] se présente comme une alternative originale et riche en potentiel d’orientation. Il ne s’agit pas, en se disant “ païen “, d’opter pour une évasion dans un autre sectarisme idéologique, mais d’accepter la multiplicité conflictuelle des types, des formes et des signes qui constituent le monde; d’y assumer les choix devant lesquels notre destin (c’est-à-dire notre identité-en-devenir) nous a placés. Le paganisme au sens nietzschéen est le plus puissant garant de la liberté car sa métaphysique, qui n’est pas dualiste, affirme l’innocence de tous les êtres (et de leur “ devenir “), tout en reconnaissant le caractère inévitable des contrôles normatifs au sein des collectivités humaines. Nous avons là une pensée complexe qui rend les peuples responsables de leurs normes face au tourbillon centrifuge qui les disperse et les divise mais, en même temps, les éprouve et leur offre la possibilité de se reconstruire une identité historique (3) ».
Le paganisme constitue par conséquent la pierre angulaire de ses réflexions. Non seulement il le pense, mais il le vit de façon communautaire, d’abord et surtout en famille. Une bougie brûle toujours sur une tour de Jul au moment des repas solennels. Dans les années 1990 – 2000, il organise le samedi le plus proche du solstice d’été des festivités (jeux, ripailles abondantes, allumage du bûcher, danses traditionnelles, etc.) dans sa propriété des coteaux du Roannais. S’y rencontrent pour l’occasion les responsables lyonnais des Jeunesses identitaires et Robert Dun venu en (assez lointain) voisin (4).
Dans la réédition en 2010 du Renouveau païen dans la pensée française, Jacques Marlaud prévient les jeunes lecteurs de l’engouement pour les récits fantastiques de J.R.R. Tolkien. Il devine nettement une intention anglo-catholique manichéenne qui contredit le vrai esprit européen. « L’Heroic Fantasy qui, depuis la percée des œuvres de J.R.R. Tolkien, a renouvelé le genre romanesque, envahi les écrans, la bande dessinée et les jeux video, illustre cette tendance. Tolkien, comme nombre de ses émules anglo-saxonnes, manipule brillamment les plus vieux mythes et symboles indo-européens (anneau, Ouroboros, épée de souveraineté, coupe sacrée, guerres de fondation…). Sa Terre du Milieu s’inspire de la mythologie germanique sans que cela l’empêche de diriger la trame de son récit vers une lutte épique entre aspirants au Bien et créatures du mal, ivres de pouvoir afin d’assouvir leurs instincts cruels. Le schéma est clairement christianomorphe, même lorsqu’il n’est pas explicitement reconnu comme tel en se déployant à l’intérieur d’un corpus symbolique étranger au christianisme (5). » Qu’aurait donc pensé l’ancien correspondant en Afrique du Sud de la revue Nouvelle École de son numéro 70 de 2020 abordant de manière assez élogieuse de l’œuvre du philologue anglais natif de Bloemfontein en Afrique du Sud (6) ?
Infiltré à l’université
Au milieu des années 1980, remarquant les premiers signaux annonciateurs de la fin de la RSA, Jacques Marlaud et les siens rentrent en France où va naître un huitième enfant, une fille. La famille s’implante d’abord près des Monts d’Or dans la banlieue cossue occidentale de Lyon. Jacques Marlaud doit nourrir son clan qui, à l’initiative d’Ursula, abandonne l’allemand et se met en permanence au français sans toutefois empêcher les enfants de regarder plus tard via le câble les programmes de la télévision allemande.
Au lendemain de Mai 1968, l’université de Lyon se fracture en trois universités plus ou moins politisées. En 1973 est fondée l’université Lyon III – Jean-Moulin en opposition frontale à l’université Lyon II – Lumière qui acquiert très tôt une réputation non usurpée d’antre gauchiste (et aujourd’hui wokiste). Enseignent bientôt dans ses facultés des « mal pensants » selon les canons du dogme cosmopolite tels Bruno Gollnisch, Jean Varenne, Jean Haudry, Pierre Vial, Bernard Lugan ou Bernard Notin. Professeur agrégé d’italien de confession chrétienne orthodoxe, Jacques Goudet (1927 – 2016) ne cache pas son engagement gaulliste. Il dirige longtemps l’antenne lyonnaise du SAC (Service d’action civique), le service d’ordre et la police parallèle du gaullisme, et coordonne l’UNI (Union nationale interuniversitaire), le syndicat étudiant de droite anti-communiste. Dans le mur de son bureau se trouve bien évidence une immense affiche de… Benito Mussolini. Jacques Goudet voyait-il peut-être dans le gaullisme la version française du fascisme italien ? Président de Lyon III de 1979 à 1987, il recrute des enseignants compétents et réfractaires aux oukases de la gauche. Il imagine une formation en sciences de l’information et de la communication. Jacques Marlaud postule à ce poste alors que son doctorat sud-africain n’est pas reconnu en France. Il fait valoir auprès de la commission interne qui instruit les candidatures sa longue expérience journalistique. Il bénéficie aussi de la présence dans cette instance de membres adhérents ou proches du GRECE qui votent en sa faveur. Jusqu’à sa retraite et malgré les purges idéologiques fomentées par une gauche de plus en plus arrogante, il restera maître de conférence, dirigera aussi les licences et maîtrises en journalisme et élargira son enseignement aux questions géopolitiques au grand dam de ses collègues géographes...
De 1987 à 1991, il préside le GRECE et relance sa publication théorique Études et Recherches. Toutefois, la revue Krisis fondée en 1988, concurrence vite ce périodique qui disparaît peu après. Vers 2000, Jacques Marlaud tente de le relancer comme directeur de publication avec l’aide de Pierre Le Vigan et de Charles Champetier, les co-rédacteurs en chef désignés. Faute de moyens financiers et de volonté soutenue, le projet s’arrête net. En 1990, au cours de l’affaire Notin du nom de ce professeur d’économie victime d’une honteuse cabale de la part des habituelles ligues de petite vertu, suite à une interprétation tendancieuse, fielleuse et plus que douteuse d’une note infrapaginale, Jacques Marlaud soutient pleinement Bernard Notin. Derrière l’anonymat du Cercle Frédéric II de Hohenstaufen, il défend – hélas sans grand succès ! - la réputation et l’honneur d’un honnête homme sali par une meute abjecte de voyoucrates. Emmanuel Ratier trouvera pour l’universitaire diffamé, ostracisé et menacé physiquement un poste universitaire en Amérique latine. Aujourd’hui, Bernard Notin collabore à la revue néo-droitiste chilienne La Ciudad de Los Cesares d’Erwin Robertson.
Priorité au combat culturel
Jacques Marlaud collabore à Éléments, à Nouvelle École, à Roquefavour et à Nationalisme et République. En 2000, sous le pseudonyme d’Yves Argoaz, il lance L’Esprit européen (7). Cette revue semestrielle ne publie que treize numéros et s’arrête en 2005 malgré des entretiens de Maurice Allais, premier Français prix Nobel d’économie, du dissident post-soviétique Alexandre Zinoviev, du prince impérial Charles Napoléon Bonaparte, du royaliste maurrassien Pierre Pujo, du néo-corporatiste catholique Benjamin Guillemaind, du régionaliste normand Didier Patte, de l’écologiste indépendant Antoine Waechter ou du philosophe terrien Pierre Rabhi. En parallèle, il fonde et dirige le CREM (Cercle de recherches et d’études métapolitiques).
Quadrilingue (allemand, anglais, espagnol et français), marié à une Allemande, Jacques Marlaud se pense d’abord en Européen de France. Il privilégie l’approche métapolitique aux dépens de l’action politique immédiate et de sa déclinaison électoraliste, d’où de vives disputes avec son collègue universitaire à Lyon III Pierre Vial, engagé dès 1985 au Front national de Jean-Marie Le Pen. Malgré un paganisme solsticial partagé, il n’a jamais caché ses divergences avec le président – fondateur de Terre et Peuple. Jacques Marlaud se défie des manœuvres entristes dans les formations de droite. À ses yeux, « le recentrage de la ND en école de pensée dissidente, sans objectifs politiques à court terme, a été une bonne décision, la seule qui ait permis à la ND de résister à l’usure du temps, de demeurer une école de pensée crédible au milieu des ruines idéologiques contemporaines (8) ». Qu’aurait-il pensé de l’appel d’offre implicite au Rassemblement national commis par François Bousquet dans un récent article écrit pour Figaro Vox (9) ?
Dans un droit de réponse à Jean Daniel, il met en exergue cinq points cruciaux qui structurent sa vision du monde bien au-delà des tambouilles politiciennes. « Pour l'heure, les divergences entre l'extrême droite et la “ Nouvelle Droite “ paraissent insurmontables, écrit-il donc. 1. Le FN est imprégné de messianisme catholique incompatible avec notre conception païenne. 2. La doctrine identitaire du FN se résume à un nationalisme étroit, “ franchouillard “, alors que nous sommes Européens... avant d'être Français. 3. Le FN s'oppose aux mosquées, aux tchadors [...]. Nous sommes pour le droit imprescriptible des peuples à rester eux-mêmes; sur notre sol ou ailleurs. 4. L'humeur sécuritaire et identitaire à fleur de peau des frontistes cache leur absence de projet de société et de comportement en rupture avec la société marchande, que nous avons toujours dénoncée comme “ système à tuer les peuples “. 5. Le caporalisme en vigueur dans ce parti est inconciliable avec notre conception libertaire et aristocratique [...] de l'excellence (10). » Il lie volontiers son paganisme à un prolongement identitaire – communautaire européen et écologique. Dans un texte paru dans Le Monde du 27 février 1990, il estime déjà que « les politiciens n’ont pas compris, semble-t-il, que les enjeux de l’avenir sont désormais qualitatifs. Le mirage d’un pouvoir d’achat en expansion indéfinie a cessé d’exercer son emprise sur l’imagination populaire, grevé qu’il est par le chômage, l’insécurité, la détérioration des conditions de vie, de travail et de transports, les méfaits de l’individualisme sauvage, la perte de sens culturel et religieux. Les batailles politiques à venir, à l’Est comme à l’Ouest – et surtout à l’Ouest depuis que l’Est n’existe plus comme entité séparée – pivoteront autour de deux grands thèmes : l’identité et l’environnement (11) ».
L’attaque terroriste du 11 septembre 2001 sur « la Grosse Pomme » et le Pentagone l’entraîne à rédiger en quelques semaines Comprendre le bombardement de New York. Il réagit au déferlement d’émotions sur-médiatisées qui excluent, ignorent et détournent toutes réflexions objectives appropriées. Il s’indigne dans cet opuscule d’une mise en scène médiatique déjà appliquée au moment de la guerre du Golfe en 1990 – 1991 et de l’agression occidentale – atlantiste contre la Serbie en 1999. Il aurait pu y retrouver la même trame narrative à l’occasion de l’attaque russe sur l’Ukraine en 2022. Pour Jacques Marlaud, « il s’agit d’abord de plonger au cœur de notre monde, d’en assumer toutes les dimensions et les antagonismes sans nous laisser enfermer dans un piège idéologique (ou idéel), de le penser et de nous penser en lui, comme acteurs, jusqu’à ses limites ultimes, sa chute (12) ».
Jacques Marlaud cerne plus loin que « tout semble indiquer que le terrorisme, comme forme de guerre non-conventionnelle est entré définitivement dans les mœurs des sociétés modernes. Les peuples le savent. Il n’en est pas un qui n’ait, à un moment donné, approuvé ou considéré avec sympathie certains de ses usagers en l’anoblissant avec les qualificatifs prestigieux de “ résistants “, “ guérilleros “, “ combattants de la liberté “… (13) ». S’il avait vécu plus longtemps, il aurait même assisté à la panthéonisation d’un couple de terroristes communistes adeptes de la guerre civile totale. Il craignait surtout l’avènement désormais effectif d’« une politique qui criminalise le terrorisme dans l’absolu, sans chercher à supprimer ses causes, est une hypocrisie condamnée à l’inefficacité. De surcroît, elle représente un grave danger pour la véritable démocratie en légitimant les mesures policières et sécuritaires les plus sévères, en faisant régner partout la suspicion, en portant atteinte de manière insidieuse aux libertés fondamentales, aux droits des minorités comme à celui de la majorité des honnêtes gens, en renforçant un contrôle étatique déjà tentaculaire et oppressant (14) ». L’épisode covidien, les discriminations vaccinales, l’usage du QR-code à travers la multiplication vertigineuse des pass (sanitaire, JO, bientôt carbone) confirment cette préoccupation visionnaire.
Penseur enraciné des aristocraties populaires
Le maintien des identités charnelles, des communautés enracinées, des nationalités historiques, voire des « populacités » ancestrales, renforce le concept de paganisme comme vue-du-monde déterminante. Jacques Marlaud considère que « les dieux et les déesses fondent et justifient une multiplicité de types d’homme et de femme différents, une multiplicité d’instincts, de caractères, d’élans psychiques tout aussi légitimes les uns que les autres, vers lesquels on peut se tourner tour à tour selon sa constitution ou son humeur… (15) ». Dans cette vision intégrale s’impose non pas le Logos organisateur mais le Polemos qui « promet un surhumanisme différencialiste qui recrée sans cesse des “ ordres de rang “. Il définit les bio-cultures comme les racines constitutives d’identités, perpétuellement contestées (décadence) et sans cesse réaffirmées par un auto-dépassement créateur de valeurs, de schémas explicatifs, de mythes (16) ». Mieux, dans l’avant-propos commis en 2010 pour la réédition de sa thèse, Jacques Marlaud tonne contre les travers d’un milieu fort paresseux. « Puisque la question de l’identité, à l’époque de la “ mondialisation heureuse “ où toute les identités sont niées, reniées, métissées de gré ou de force, se pose en même temps que celle du sens de la vie, du souci de l’être, la recherche païenne se propose d’y répondre en affirmant les droits et les bienfaits des enracinements ethniques, des traditions locales et régionales sans toutefois céder à l’identitarisme mesquin, au racisme et au nationalisme paranoïdes, propres aux sociétés recomposées, qui ne s’affirment qu’en dénigrant et en rejetant l’autre, tous les autres. Elle indique une voie vers la patrie essentielle des Européens, celle d’une immémoriale tradition qui, en redécouvrant ses propres racines, ne peut que reconnaître et encourager la bio-diversité humaine, la multiplicité des racines et des traditions, au contraire d’une modernité qui prétend les éliminer – en vain d’ailleurs, si l’on observe l’évolution actuelle qui montre une montée en puissance des communautarismes proportionnelle aux avancées de la mondialisation (17). »
Cette opinion dévastatrice pour le politiquement correct postule en outre l’acceptation du tragique dans l’histoire. Le supplanter par le drame expliquerait en partie le déclin de l’« européanité ». Avant de cibler un quelconque ennemi extérieur, Jacques Marlaud vise d’abord la mentalité européen moderne. Les Européens sont les premiers responsables du phénomène notable de déclin ambiant. Il veut au contraire « oser penser l’Empire (18) » considéré comme le cinquième niveau d’une structure organique irradiée par le principe de subsidiarité (famille, communes, régions ou provinces, nations). L’Imperium parvient « à intégrer (plutôt qu’à dissoudre) l’échelon civique ou politique au sein d’un ensemble plus vaste qui lui redonne son sens en le reliant à ses racines infrapolitiques organiques et à sa cime métapolitique (mythique et cosmique) (19) ».
Pour lui, l’Europe, mieux l’idée impériale européenne reposant sur l’héritage préhistorique et antique, permettra la renaissance de ses peuples boréens. Cette Europe nouvelle parce que plus ancienne, archaïque (20), se concertera avec les peuples des autres continents contre les menées du mondialisme, du wokisme et de l’occidentalisme. Aux intentions d’union géopolitique planétaire des peuples blancs, Jacques Marlaud avertit que « prêcher ou prédire le retranchement des Européens dans un bunker Nord face aux peuples du Sud, c’est aussi opter pour l’idéologie libérale anglo-saxonne qui voit dans cette Saint-Alliance des riches un nouveau moyen de mater la révolte des pauvres afin de maintenir tel quel le système d’exploitation international dont les principaux bénéficiaires ne sont pas les peuples du Nord, mais les oligarchies financières multinationales. La carotte du développement n’étant plus appréciée, celles-ci empoignent à présent le bâton de la sécurité internationale trempé dans le vernis des droits de l’homme (21) ». Maints identitaires de France, de Grande-Bretagne, d’Espagne ou d’Italie devraient le lire avec soin et méditer son point de vue qui récuse tout panoccidentalisme post-moderniste et autre nationalisme blanc ridicule.
Veuf d’Ursula décédée des suites d’une longue maladie, Jacques Marlaud épouse en seconde noce une Russe qui décède vers 2017 – 2018. Ses héritiers vendent la propriété familiale – le Roc du Bourru (nommé bien avant son acquisition par Jacques Marlaud qui correspond cependant fort bien à son caractère entier et parfois brusque) – et se dispersent en France et en Allemagne. Un mois avant de disparaître, Jacques Marlaud eut néanmoins la joie d’assister au mariage de sa plus jeune fille.
En dépit d’un bureau – bibliothèque aux étagères surchargées et en grand désordre avec, par terre, des piles monstrueuses de livres, de journaux et de brochures, Jacques Marlaud défendait au sein de la « Nouvelle Droite » une ligne claire, convaincante et intransigeante. Une décennie après sa mort, ne serait-il pas temps que l’Institut Iliade dans ses journées de formation le commente et l’explique avec la plus grande attention ?
Notes
1 : Michel Marmin, « Le paganisme dans la littérature », dans Éléments, n° 59, été 1986, pp. 23 à 25.
2 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen dans la pensée française, préface de Jean Cau, L'Æncre, 2010, avant-propos de l’auteur à la deuxième édition, p. 8.
3 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen dans la pensée française, préface de Jean Cau, Le Labyrinthe, 1986, p. 49, souligné par l’auteur.
4 : Robert Dun vit près du Puy-en-Velay en Haute-Loire, soit à 160 km à vol d’oiseau, d’où un trajet aller – retour de 320 km pour ce nonagénaire féru de vitesse automobile.
5 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen..., 2010, op. cit., p. 9.
6 : Par son réalisme cru et son refus d’une approche binaire, Jacques Marlaud aurait peut-être apprécié Le Trône de Fer de George R.R. Martin, pourtant homme de gauche.
7 : Revue à laquelle a directement principé l’auteur de ces lignes.
8 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen..., 2010, op. cit., p. 15.
9 : François Bousquet, « Pourquoi le Rassemblement national ne livre-t-il pas la bataille culturelle ? », mis en ligne sur Figaro Vox, le 31 juillet 2024.
10 : dans Le Nouvel Observateur du 17 mai 1990.
11 : Jacques Marlaud, « Libérons l’Europe de l’Ouest ! », repris dans Interpellations. Questionnements métapolitiques, préface d’Anne Brassié, Dualpha, 2004, p. 59.
12 : Jacques Marlaud, Comprendre le bombardement de New York, Éditions du Cosmogone, 2001, pp. 39 - 40.
13 : Idem, p. 56.
14 : Id. , p. 61.
15 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen..., 1986, op. cit., p. 27.
16 : Idem, pp. 27 – 28.
17 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen..., 2010, op. cit., p. 17.
18 : Jacques Marlaud, Interpellations, op. cit., p. 171.
19 : Idem, p. 172.
20 : Dans un entretien avec l’essayiste gaulliste conservateur Paul-Marie Couteaux diffusé sur TVLibertés, le 14 juillet 2024, François Bousquet pense que l’Europe naît au Moyen Âge. L’actuel rédacteur en chef d’Éléments écarte ainsi plus d’un demi-siècle de travaux sur le sujet par son propre courant de pensée… Au-delà de l’histoire, il y a toujours la sacralité et l’anthropologie.
21 : Jacques Marlaud, Interpellations, op. cit., pp. 64 - 65.