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Les lansquenets d'Europe

  • Le temps des guerres non conventionnelles

    par Georges FELTIN-TRACOL

    alger.jpgLes guerres de la Révolution et de l’Empire de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe achèvent la « guerre en dentelles » et bouleverse la réflexion stratégique européenne. De ces grandes transformations sort un abondant corpus théorique avec les écrits de Clausewitz et de Jomini. Les états-majors tant d’Europe qu’Amérique (pensons aux généraux de la Guerre étatsunienne de Sécession ou aux officiers chiliens de la Guerre du Pacifique contre le Pérou et la Bolivie) y puisent les moyens de remporter une victoire éclatante.

    La guerre s’organise de manière dite conventionnelle avec l’affrontement de deux armées sans atteindre les non-combattants. Or, dès le commencement du XXe siècle, la nature du conflit évolue du fait de l’implication croissante des populations civiles et du surgissement de la « guerre totale », mobilisatrice de tout le potentiel économique, financier, humain des États belligérants. Les deux guerres mondiales confirment la montée technique aux extrêmes. Après 1945, la menace de l’arme nucléaire fige les protagonistes dans un équilibre de la terreur qui favorise des conflits locaux de basse ou de moyenne intensité (Corée, Viêtnam, Afghanistan). En dépit de la multiplication des théâtres d’opération, les militaires des deux blocs formulent toujours leurs prévisions - offensives et défensives - dans un schéma conventionnel de chocs entre armées utilisant, le cas échéant, des armements nucléaires tactiques, chimiques et/ou bactériologiques.

    La fin de la « Guerre froide » remet en cause toutes ces considérations et l’Occident, après avoir parié (et perdu) sur les « dividendes de la paix », se lance dans des opérations extérieures pour lesquelles les critères habituels de la guerre conventionnelle deviennent au mieux inopérants, au pis facteurs certains de défaite.

    Installées en Lorraine, les éditions Le Polémarque ont publié en 2013 deux essais qui remettent en cause le conservatisme des stratèges occidentaux. Le lieutenant français Pierre-Marie Léoutre explique Comment l’Occident pourrait gagner ses guerres (123 p., 10 €). Quant à l’universitaire suisse Bernard Wicht, il s’interroge sur l’avenir incertain du continent européen avec le risque de déboucher sur Une nouvelle Guerre de Trente Ans ? (57 p., 8 €).

    Malgré des centres d’intérêt différents, ces deux ouvrages présentent d’indéniables convergences, à savoir la mutation en cours de l’art de la guerre. Certes, le livre de Pierre-Marie Léoutre est plus concret, plus tactique, plus optimiste aussi alors que l’essai de Bernard Wicht, plus pessimiste, se veut d’abord une réflexion philosophique.

     

    Penser les guerres asymétriques

     

    Pierre-Marie Léoutre entame sa réflexion à partir du bilan désastreux des interventions occidentales en Afghanistan et en Irak. Il constate que « l’arme nucléaire, si elle est efficace dans son rôle de dissuasion contre les États, apparaît inutile contre des organisations terroristes ou des mouvements de guérilla sans réelle assise territoriale ». La forme conventionnelle de la guerre restée au face-à-face de deux armées a été d’urgence remplacée dans les montagnes du Pamir et de l’Hindou Kouch et en Mésopotamie par de nouveaux types de conflits appelés « asymétriques » qui « mettent en exergue une des difficultés du mode de pensée occidental : il n’est plus possible dans certains cas de l’emporter par un choc décisif, car l’adversaire l’évite ». Ce nouveau genre de guerre rend les armées occidentales très fragiles d’autant qu’« un autre élément particulièrement visible du modèle occidental de la guerre est la recherche de la supériorité technologique », ce que les guérillas n’ont pas. En outre, les sévères restrictions budgétaires font que les armées occidentales ne disposent plus d’unités complètement autonomes, ce qui accroît leur handicap.

    Non préparées aux terrains irakien et afghan, les forces occidentales ne pourraient qu’échouer, elles qui « s’entraînèrent […] pendant cinquante ans à une guerre qui n’eut pas lieu et ne risquait guère d’advenir… et elles allèrent, hors de cette Europe qui monopolisait toutes les attentions mais était totalement gelée, de défaite en défaite car “ non adaptées ” aux guerres non conventionnelles qu’elles menaient sur le reste de la planète ». Préfigurations de l’Afghanistan et de l’Irak, ces défaites cinglantes s’appellent l’Indochine, l’Algérie, le Viêtnam. L’auteur aurait pu y ajouter les guerres africaines du Portugal. loin de réadapter le format des armées au lendemain de la fin de la Guerre froide, les responsables militaires ont gardé de vieux schémas en accordant une plus grande attention aux « Forces Spéciales (FS) [qui] sont devenues une véritable obsession des états-majors occidentaux ». Mais leur emploi dans une guerre asymétrique se doit d’être ponctuel. Les FS ne peuvent pallier les déficiences matérielles et morales des autres troupes. Elles n’arriveront jamais à vaincre les partisans de la « petite guerre », car leur logique ne correspond pas à celle de l’ennemi. Pour Pierre-Marie Léoutre, « l’objectif d’une guérilla au XXIe siècle n’est […] plus de libérer le pays uniquement par les armes. L’objectif actuel est de parvenir à l’abdication du pouvoir loyaliste ». Malgré leur professionnalisme, leur vaillance et leur abnégation, les unités spéciales n’arrêteront jamais une guérilla qui se fond dans la population. Cette dernière est son « biotope » qui lui sert à la fois de refuge, de centre de recrutement, de milieu de renseignement et de source de financement. L’appui qu’elle lui procure peut être contraint par la terreur ou volontaire grâce à une « contagion idéologique », fruit d’un long travail d’encadrement psychologique de masse. Toute guérilla véritable s’organise autour de structures militaires souples et une OPA (organisation politico-administrative) en prise sur la société. Dans le monde musulman, « l’OPA a un avatar : il s’agit des personnes qui soutiennent activement la rébellion en lui fournissant des renseignements, des caches, des notables qui poussent la population civile à aider les djihadistes, à les cacher, de djihadistes qui habitent tel ou tel village et servent de contact pour les bandes en maraude, les informant, les guidant, leur indiquant les représailles à effectuer pour s’assurer la collaboration, bien souvent forcée, des habitants de la zone ».

    Paul-Marie Léoutre rapporte l’embarras des militaires occidentaux face à des situations singulières. Pourtant, ce ne devrait pas être une nouveauté pour eux. Leurs prédécesseurs avaient trouvé une réponse appropriée à cet enjeu : « La guerre révolutionnaire encore appelée guerre subversive ou guerre psychologique. » Comment l’Occident pourrait gagner ses guerres évoque explicitement des praticiens, souvent français, de cette forme spécifique de lutte : le général Jacques Hogard (1918 - 1999) et les colonels Charles Lacheroy (1906 - 2005) et Roger Trinquier (1908 - 1986). On ignore en effet que « la France dispose […] si ce n’est d’un savoir-faire, du moins d’une expérience particulièrement intéressante de la guerre révolutionnaire et de l’arme psychologique. Elle doit pouvoir s’appuyer sur celle-ci pour relever les nouveaux défis du monde actuel ».

    Il ne s’agit surtout pas de répéter la guerre d’Algérie, mais de s’en inspirer. La guerre psychologique implique une grande flexibilité au sein de l’armée. Or, depuis quelques années, elle s’ouvre au monde marchand et en adopte les règles. L’auteur observe qu’« en voulant faire du combattant un professionnel avant tout, en livrant le monde militaire aux méthodes entrepreneuriales, on a, finalement, ouvert le marché », d’où le rôle croissant des SMP (sociétés militaires privées) qui méconnaissent le plus souvent le b.a.-ba de la contre-guérilla…

    L’Occident a beau mené, avec l’intégration de ses systèmes d’armes, d’information et de communication, une « guerre en réseau », il se révèle incapable de gagner une guerre subversive. S’imposerait une remise en cause des décisions prises. Déjà, partant des cas afghan et irakien et de la valorisation des unités spéciales qui « ont un entraînement plus poussé, jamais sacrifié à des tâches indues, et plus spécifique que les autres unités des forces armées occidentales. Leurs crédits sont bien plus élevés. Les FS disposent donc d’une polyvalence extrême et d’une importante capacité au combat interarmes et interarmées. À l’opposé, les forces “ régulières ” n’ont plus l’habitude de travailler avec toute la gamme des outils militaires », Pierre-Marie Léoutre estime que « la guerre subversive oblige l’armée à s’adapter en modifiant profondément sa structure interne ».

     

    Les nouvelles formes de guérilla

     

    Il suggère par conséquent la constitution d’une armée à deux niveaux opérationnels. D’une part, des unités mobiles, si possible héliportées, qui pourchassent les guérilleros. De l’autre, des unités territoriales ou de secteur qui amalgament Occidentaux et autochtones et dont le rôle n’est pas que militaire : il est aussi caritatif, sanitaire et éducatif. Les liens noués avec la population par ces soldats parlant la langue locale et fins connaisseurs des coutumes favorisent le contact, puis la récolte de renseignements et, au final, la réussite de la contre-guérilla. Cette mise en œuvre exige aussi de rendre les frontières imperméables à la logistique de la guérilla afin d’étouffer les maquis. Si « dans la lutte contre-insurrectionnelle, le renseignement joue un rôle crucial », l’auteur jongle avec les échelles et remarque que « la société du XXe siècle est celle de l’information et l’information est une des armes de la guerre psychologique ». C’est un point déterminant de sa réflexion. « La redécouverte de la doctrine de la guerre révolutionnaire doit également permettre de se réapproprier l’arme psychologique : elle est nécessaire à toute victoire puisqu’elle conditionne l’efficacité de toute opération militaire au niveau des esprits. »

    Pierre-Marie Léoutre évoque à cette occasion la nécessité de maîtriser l’opinion publique et mentionne la portée subversive des célèbres « révolutions de couleur » préparées via les médiats de masse par quelques officines perturbatrices d’outre-Atlantique (Open Society Institute de George Soros, International Republican Institute ou National Endowment for Democracy, USAid aussi, etc.). À côté de la terre, de la mer, de l’air, de l’espace et du cyberespace, un sixième champ théorique d’affrontement s’offre aux stratèges militaires : le contrôle de la population et de ses représentations. Citant Gustave Le Bon, Serge Tchakhotine ou Jacques Ellul, il pense que la nouvelle guerre psychologique est tout autant contre-insurrectionnelle que médiatique. Elle suppose toutefois au préalable que l’État qui l’utilise ait la volonté de réaliser ses objectifs. Mais la structure stato-nationale est-elle toujours pertinente ?

    Bernard Wicht pose cette question implicite dans son bref essai. Il constate d’abord « la faillite au XXe siècle du système interétatique européen, source jusque-là de compétition et d’émulation à la base du dynamisme de l’Occident ». Ce nouveau contexte peut susciter des troubles internes, voire des guerres. Mais, rassure-t-il, « une Troisième Guerre mondiale semble peu probable, les États européens n’en ayant plus les capacités ni économiques ni militaires. Pour faire court, les armées d’Europe occidentale ne sont plus aujourd’hui que des échantillonnages d’unités relativement disparates, essentiellement orientées vers les missions de maintien de la paix à l’extérieur et manquant généralement de la chaîne logistique nécessaire à des opérations de longue durée ». Cela ne l’empêche pas d’examiner la macro-histoire et de remarquer que « l’hypothèse d’une guerre en Europe a été abandonnée avec la fin de la Guerre froide ». Néanmoins, « nos sociétés sont devenues très complexes, et que les sociétés complexes sont fragiles, que les sociétés fragiles sont instables et que les sociétés instables sont imprévisibles ! ». Il craint par conséquent que le naufrage de la zone euro engendre des désordres dans toute l’Europe qui plongerait dès lors dans un long chaos comme le fut pour la Mitteleuropa et le monde germanique la Guerre de Trente Ans (1618 - 1648).

     

    L’Europe en phase instable

     

    Le raisonnement de Bernard Wicht repose sur une probabilité économique : la fin de la monnaie unique. « La crise de la zone euro est sans doute le chant du cygne de la Modernité occidentale, l’UE représentant l’ultime avatar de la construction étatique moderne avec sa bureaucratie supra-étatique et son centralisme à l’échelle continentale. Et dans l’immédiat, la crise devrait encore renforcer ce centralisme bureaucratique; la Commission s’est fait donner le mandat (certes temporairement limité) d’un contrôle économique des États membres. Ceci signifie un renforcement considérable du pouvoir supra-étatique de l’UE. Mais paradoxalement, ce renforcement représente probablement l’épilogue de l’histoire de l’État moderne, le dernier acte d’une pièce qui s’est jouée pendant environ 500 ans, le dernier coup d’éclat d’un institution sur le déclin. » L’affirmation de ce despotisme technocratique provoquerait certainement de vives résistances nationales, populaires et sociales, aboutissant par des tentatives armées de sécession. Les gouvernants ont dès à présent envisagé ce scénario en prévoyant dans le traité de Lisbonne une Eurogendfor (European Gendarmerie Force), une police militaire européenne composée de détachements français, italiens, néerlandais, portugais, espagnols et roumains, destinée à intervenir dans un État-membre en cas de grandes instabilités intérieures. On peut aussi imaginer que le maintien de l’« ordre » marchand s’exercerait aussi grâce aux SMP. On assiste au grand retour sur le vieux continent des condottiere sous la forme de contractors. Bernard Wicht souligne que la place de Londres, haut-lieu thalassocratique, héberge la plupart de ces entreprises régulièrement payées en prestations versées par d’autres compagnies appartenant à la même holding

    La séparation armée de pans entiers de l’Europe déboucheraient-elles sur une guerre généralisée et le renversement des États inaptes à garantir la sûreté des populations civiles ? L’auteur le pense. Assez optimiste sur ce point, il espère qu’« une nouvelle Guerre de Trente Ans jouerait le rôle de sas de décompression d’une Europe post-moderne, bureaucratique et supra-étatique vers un nouveau Moyen Âge global […]. » Afin d’appuyer sa thèse, il fait référence à une histoire peu connue en France liée à ce long conflit, la « Guerre de Dix Ans (1634 - 1644) » qui ravagea la Franche-Comté alors possession des Habsbourg d’Espagne.

     

    Vers l’auto-gestion armée ?

     

    La présence de « grandes compagnies de routiers » brigands, les raids incessants et l’incapacité des institutions franc-comtoises à protéger les civils obligèrent le peuple à s’armer, à se donner des chefs et à combattre ! « Deux priorités semblent cependant guider l’ensemble de ces mesures : protéger la population des pillages et des exactions, harceler l’adversaire à chaque fois que possible. » Ce conflit local au sein de la grande guerre européenne ne présente aucune facture conventionnelle, ni même la marque d’une quelconque guerre asymétrique. « Il s’agit ainsi d’une guerre sans front, se déroulant sur l’ensemble du pays en même temps (forçant le défenseur à constituer des réduits et des sanctuaires), mêlant étroitement jusqu’à la confusion des genres combattants et population (les chefs de bande devenant avec le temps des chefs politiques), mettant en œuvre à la fois les procédés de la guerre classique (sièges, batailles), la terreur, le massacre de civils, la destruction des récoltes, le tout conjugué à ces armes de destruction massive que sont alors la peste et la famine. » Cette configuration propre aux guerres civiles a frappé le Liban entre 1975 et 1990 et frappe, à l’heure actuelle, la Syrie où des territoires en guerre cohabitent avec des havres pacifiés ou en paix.

    En citoyen helvète, Bernard Wicht ne croit pas en l’avenir de l’armée professionnelle, ni en sa pérennité, y compris si disparaissaient les autorités officielles. Il souscrit en revanche au citoyen en arme qui défend son espace de vie à côté de ses voisins. Il juge surtout indispensable de « réussir à réduire la complexité de nos formes d’organisation, parvenir à se recomposer en fonction des besoins de l’autodéfense et de la survie, se réarmer pour finalement se libérer ». désireux de développer cette nouvelle considération, Bernard Wicht évoque la TAZ (zone autonome temporaire) théorisée par l’anarchiste Hakim Bey. Or la TAZ correspond parfaitement aux modalités du monde ultra-moderne, à sa fluidité et à sa fugacité. On ne construit pas du solide sur des actions éphémères. Il faut rapprocher les intentions de Bernard Wicht de la notion de BAD (base autonome durable) qui a l’avantage de cumuler une « conception de la liberté (de contournement plutôt que de confrontation), d’un tel état d’esprit (le salut vient des marges), de telles attitudes (agir dans la marge d’erreur du système) et associations d’idées (créer la culture, laisser faire le travail) que pourrait naître l’élément dynamique de la nouvelle donne stratégique, c’est-à-dire une volonté de découvrir de “ nouveaux territoires ”, d’agir par soi-même hors des appareils complexes et des modèles dominants ».

    Si Comment l’Occident pourrait gagner ses guerres contredit Une nouvelle Guerre de Trente Ans ?, ces deux livres n’en sont pas moins complémentaires. Le second imagine une situation désordonnée complexe surtout si les conseils du premier n’ont pas été assimilés, ce qui pourrait entraîner la déflagration des régimes en place. De la sophistication technologique, l’art de la guerre deviendra-t-il bientôt rudimentaire, psychologique et populaire ? On peut soit le redouter, soit l’espérer…

     

  • Le cas des penseurs aryanistes dans la révolution islamique iranienne

    par Georges FELTIN-TRACOL

     

    HamedYousefiMainImage-crop.jpgLe vendredi 1er mars 2024, la République islamique d’Iran organisait des élections parlementaires malgré les attaques incessantes de l’Occident terminal. Ses nervis locaux répercutent dans l’ancienne Perse les mots d’ordre néo-coloniaux tels le rejet féministoïde du port du voile par les Iraniennes. Tout est bon pour déstabiliser cette puissance régionale du Moyen-Orient et d’Asie centrale.

    L’Iran pâtit des quarante-cinq années d’embargo économique décidé, organisé et encouragé par les États-Unis d’Amérique. Après avoir œuvré au renversement du Shah d’Iran en 1978 – 1979 (1), l’entité yankee rend très difficile la vie quotidienne des 87,5 millions d’Iraniens, victimes de nombreuses pénuries. Les menaces sont en outre multiples. Ainsi, à l’instar de la République démocratique et populaire de Corée, l’Iran a du mal à empêcher la diffusion clandestine sur son territoire de vidéos qui promeuvent le mode de vie occidental et charrient une vision du monde décadente. Un réel désenchantement touche les catégories sociales intermédiaires. Désabusées, elles ne participent plus au jeu politique et se réfugient dans les stupéfiants. La CIA et diverses mafias propagent dans toute la société le vice toxicomane. La République islamique réplique par un recours massif à la peine capitale à l’égard des trafiquants et, parfois, des consommateurs.

    Le premier jour de mars, l’électeur iranien votait pour deux institutions parlementaires. Il renouvelait d’une part pour un mandat de quatre ans le Madjles (ou Assemblée consultative islamique), la législature monocamérale de l’Iran. Cette assemblée vérifie l’action du président de la République et de son gouvernement. L’électeur participait d’autre part à un scrutin qui ne se déroule que tous les huit ans : la désignation des quatre-vingt-huit membres de l’Assemblée des experts. Uniquement composée de clercs chiites, cette assemblée joue un rôle crucial et méconnu dans les institutions iraniennes. Elle élit, contrôle et peut révoquer à tout instant le Guide suprême de la République islamique. En fonction depuis 1989 et âgé de 84 ans, son actuel titulaire, Ali Khamenei, serait malade et préparerait sa succession.

     

    L’aryanisme iranien

     

    Toutefois, par-delà cette actualité politique immédiate, il est intéressant d’étudier certaines origines intellectuelles de la République islamique d’Iran. Elles doivent beaucoup à son fondateur, le marja (guide religieux chiite) Rouhollah Khomeyni (1902 - 1989). Le théoricien du Velayat-e faqih (« gouvernement du juriste - théologien ») s’inspire du modèle platonicien de la république. Il assiste dans sa jeunesse à l’essor des Frères musulmans sunnites et se lie à des militants nationaux-révolutionnaires d’Iran et d’Irak, dont les partisans du Premier ministre nationaliste Rachid Ali al-Gillani (1892 – 1965), qui rêvent d’un grand dessein aryen (2).

    Dès le début des années 1920, ce mythe fascine les milieux cultivés iraniens. Vers 1927, quelques mois avant sa disparition, le colonel d’infanterie Mahmoud Poulâdine fonde au sein de l’armée une société secrète « socialiste – aryaniste ». Dix ans plus tard, un étudiant de 23 ans, Mohsen Jahansauzi traduit Mein Kampf et crée à l’école militaire des officiers à Téhéran une organisation clandestine ouvertement nationale-socialiste. L’héritage perse – aryen – indo-européen sera ensuite repris par le régime impérial des Pahlavi. La revendication aryenne s’amplifie au début des années 1970 dans le prolongement de la « Révolution blanche » (la modernisation autoritaire et conservatrice de la société iranienne) qui bouscule et mécontente le clergé chiite. Cependant, de futurs penseurs de la révolution islamique collaborent dans la période 1950 – 1960 à l’ambition impériale de réaliser un ensemble pan-iranien dont l’assise serait l’aryanisme. C’est le cas, par exemple, d’Ahmad Fardid (1909 ou 1910 – 1994) que les ennemis de la République islamique considèrent comme le « père spirituel » du khomeynisme (3).

    Originaire de la région de Yazd et issu d’une famille paysanne, Ahmad Mahini Yazdi montre très tôt de belles dispositions pour les études. Outre une maîtrise précoce du persan (la langue véhiculaire de l’Iran), il parle l’arabe et le français. Cet esprit scientifique excelle en mathématiques, mais il se tourne finalement vers la philosophie. Dans les années 1930, il prend le nom d’Ahmad Fardid, étudie le sanskrit, apprend l’allemand et s’enthousiasme tant pour l’histoire pré-islamique de son pays que pour la philosophie chiite. Il découvre plus tard l’œuvre de Nietzsche et cherche dès lors à concilier le surhomme et l’enseignement de l’islam chiite. Cette quête le conduit à suivre les cours en théologie du Hawzah. Certains érudits religieux qui y officient dissertent sur le lien sémantique, symbolique et étymologique possible entre le national-socialisme allemand et le nom d’Ali. De nos jours encore, des confréries musulmanes du Caucase continuent à réfléchir sur la correspondance symbolique entre le quatrième calife de la Oumma et les autres imams et certains dirigeants du IIIe Reich.

     

    L’apport décisif d’Ahmad Fardid

     

    Vers 1948 – 1949, Ahmad Fardid part pour l’Europe. Il s’inscrit d’abord à la Sorbonne et suit des séminaires à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il y rencontre l’orientaliste « catholique – musulman » Louis Massignon (1883 – 1962), et son successeur, Henry Corbin (1903 – 1978). Traducteur de quelques textes de Martin Heidegger, ce dernier parle l’arabe et le farsi. Il examine avec gourmandise la philosophie chiite (4). Franc-maçon opératif, Henry Corbin estime que l’ésotérisme chiite peut et doit répondre au nihilisme occidental. Sous son impulsion, Ahmad Fardid lit les écrits de René Guénon avant de se rendre à l’université de Heidelberg où il devient un élève de Heidegger. Il transforme alors son nietzschéisme chiite en chiisme heideggérien. De retour en Iran vers 1955, Ahmad Fardid développe auprès de ses étudiants la pensée de Heidegger mâtinée d’« exégèses » chiites. Il énonce ainsi que l’islam chiite incarne le pôle oriental de l’Être complémentaire au pôle occidental d’essence allemande.

    Dans la vie courante, Ahmad Fardid agit en disciple de Socrate. Il se veut « philosophe oral ». Il ne laisse aucun écrit. Seul existe en persan un recueil de ses discours. Il se justifie par la nécessité de « revenir à soi » et de renouer avec l’« authenticité orientale et islamique » dénaturée par l’Occident. Il accepte néanmoins un long entretien divisé en deux parties parues le 12 octobre et le 2 novembre 1976 dans la revue officielle du parti unique iranien, Rastakhiz (« Résurrection »). Il se présente en « grand rien ». Il assure n’être ni un « génie », ni un « sage », et encore moins un « intellectuel » (prononcé et écrit en français) (5).

    Il critique l’Occident et le processus d’occidentalisation du monde qui dénature les communautés humaines. Il souhaite écarter des commentaires coraniques les expressions de « civilisation » et de « phénomène ». Il ajoute que le Mahdi le visite fréquemment en songes. L’anti-occidentalisme virulent d’Ahmad Fardid le rapproche bientôt de l’opposition révolutionnaire chiite. Il voit rapidement en l’ayatollah Khomeini l’incarnation de l’« éclat divin » et de la radicalité de l’islam. Poursuivant l’islamisation de la pensée de Heidegger, seul philosophe occidental selon lui qui comprend le monde et dont les idées sont conformes aux principes de la Révolution islamique, il évoque fréquemment les grandes figures de la Révolution conservatrice de langue allemande. Il se rallie assez tôt à la cause de Khomeini. Son anti-occidentalisme n’est pas accidentel.

     

    Contre l’Occident

     

    Dès les années 1960, Ahmad Fardid accuse l’Occident d’être, malgré la fin de ses empires coloniaux, une maladie infectieuse. Il parle d’« occidentalite » (6). Cette hostilité ne lui est pas propre. On ne sait pas qu’en 1970, le futur Guide suprême, Ali Khamenei, et son frère cadet traduisent de l’arabe un violent essai de l’Égyptien Seyyed Qutb (1906 - 1966), proche des Frères musulmans : Réquisitoire contre la civilisation occidentale et perspective de la mission de l’islam. Dans le même temps, l’activiste intellectuel Ali Shariati (1933 – 1977) rencontre Jean-Paul Sartre et Frantz Fanon. Il élabore une théorie qui mêle la dimension martyrologique et révolutionnaire du chiisme, l’existentialisme et le gauchisme. En 1962, Djalal al-Ahmad (1923 - 1969) signe Gharbzadégui qui se traduit en français par… « pays infecté » ou Occidentalite (7). D’abord imprimé et édité en Californie, ce brûlot philosophique se diffuse en Iran de façon illégale. Son auteur sert de chaînon intellectuel entre Ahmad Fardid et Ali Shariati. Chantre de la nationalisation des grandes industries et d’une économie planifiée, Djalal al-Ahmad connaît lui aussi fort bien la culture européenne. Il a traduit Sartre, Albert Camus, le Roumain francophone Eugène Ionesco ainsi que les récits de guerre d’Ernst Jünger. Il a aussi vécu dans le kibboutz israélien de Hazoren, ce qui n’est pas incongru. L’Iran impérial soutient au niveau international l’État d’Israël au nom de la vieille amitié entre Darius et les Hébreux au lendemain de la prise de Babylone dans l’Antiquité. Il y reste quinze jours par fascination pour le caractère paysan, socialiste et nationaliste du sionisme. Il a adhéré au Tudeh, le très puissant Parti communiste iranien clandestin, avant de le quitter en 1947, irrité par l’alignement permanent sur Moscou. Il lance un éphémère Parti socialiste des masses iraniennes.

    Quelle est en 2024 leur postérité idéologique ? Il perdure et parvient à se fructifier, surtout sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad de 2005 à 2013. Le principal disciple de Fardid, Reza Davari, né en 1933, a fondé au sein des Pasdaran (les Gardiens de la Révolution) un centre d’études révolutionnaires-conservatrices. On retrouve cette influence à la rédaction du principal quotidien principaliste (8), Kayhan, qui n’a jamais hésité à traduire et à publier des articles d’Alain de Benoist. Plus récemment, directeur du Centre d’analyse doctrinale pour une sécurité sans frontières et de l’Institut de la Certitude, Yadollah Ghazvini alias Hassan Abbassi dénonce la diplomatie revancharde et agressive des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni, d’Israël et de la France envers l’Iran. Il cible volontiers les productions cinématographiques et télévisées de Hollywood qui favorisent la formation d’une « OTAN culturelle ». Cette forme nouvelle d’alliance transatlantique cherche à empêcher la constitution d’un front anti-occidental eurasiatique Chine – Russie - Iran.

    Avec les actions du Hamas palestinien, du Hezbollah libanais, des Partisans de Dieu yéménites, de la Syrie néo-baasiste et des milices populaires chiites irakiennes, l’« occidentalite » retrouve une nouvelle jeunesse. Les Européens soucieux de l’esprit gibelin et contempteurs du néo-guelfisme occidental devraient en prendre compte.

     

    GF-T

     

    Notes

     

    1 : cf. Robert Steuckers aux éditions Bios en 2017, Europa II. De l’Eurasie aux périphéries, une géopolitique continentale, et Europa III. L’Europe, un balcon sur le monde.

     

    2 : En 1935, la Perse prend le nom officiel d’Iran, ce qui signifie « Royaume des Aryens ».

     

    3 : Bien des informations qui suivent sont extraites de Ramin Parham et Michel Taubmann, Histoire secrète de la révolution iranienne (Denoël, 2009). Ce livre se dit avec précaution. Michel Taubmann a en effet fondé et dirigé la revue néo-conservatrice belliciste de langue française au titre révélateur, Le Meilleur des Mondes.

     

    4 : Henry Corbin a laissé une riche œuvre historique, philosophique, religieuse et ésotérique, en particulier chez Gallimard, coll. « Tel » la tétralogie herméneutique d’En islam iranien. Aspects spirituels et philosophiques (1991), Le shî’isme duodécimain (tome 1), Sohrawardî et les platoniciens de Perse (tome 2), Les fidèles d’amour. Shî’isme et soufisme (tome 3) et L’école d’Ispahan. L’école shaykhie. Le douzième imâm (tome 4).

     

    5 : La doctrine officielle du mouvement iranien Résurrection prône ouvertement la « troisième voie » géopolitique (« Ni Est, ni Ouest ») et économique (« Ni libéralisme, ni collectivisme »). La constitution islamique de 1979 confirme ces orientations et promeut l’auto-gestion en entreprise.

     

    6 : En anglais, Westoxication.

     

    7 : Djalâl al-e Ahmad, L’occidentalite, traduit du persan par Françoise Barrès – Kotobi et Mortéza Kotobi avec la collaboration de Daniel Simon, L’Harmattan, 1985, 176 p.

     

    8 : Les principalistes forment un ensemble hétérogène qui défend néanmoins les principes fondamentaux de la révolution islamique de 1979. Ils se méfient des modérés et des progressistes tout en prônant souvent la justice sociale dans le cadre de l’indépendance nationale et sous la supervision du Guide suprême.

  • Guerres de demain, empreinte carbone et défi éco-systémique

    par Georges Feltin-Tracol

    RedTeam2.jpgAu début des années 2020, s’inspirant des solides liens noués entre l’industrie de l’armement, l’état-major, le secteur des nouvelles technologies, les milieux du divertissement visuel (télévision et cinéma) et l’édition chez les Anglo-Saxons, le ministère français des Armées s’associe à l’Université Paris – Sciences et Lettres et lance un groupe de réflexions prospectives appelé Red Team. Des écrivains de science-fiction, des dessinateurs, des scientifiques (chimie, biologie, mathématiques…) et des universitaires (droit international, histoire, arts décoratifs, etc.) travaillent à la demande des autorités militaires sur les prochaines configurations guerrières.

    En 2022 paraît un premier volume (saison 1) qui aborde l’implication dans les futures guerres d’armes nouvelles et des systèmes d’armement novateurs (missile hypervéloce, hyperforteresse, drone de combat polyvalent, railgun ou canon électronique, effets ultra-connectés pour le fantassin. Y est même mentionné l’ambitieux projet d’« ascenseur spatial ». Moins coûteux que le lancement d’une fusée, il s’agit d’« une structure continue entre le sol et l’espace; le transport de marchandises et de passagers est assuré par la circulation de capsules capables de se mouvoir le long du câble qui le constitue, câble qui doit s’allonger au-delà de 35 800 km, orbite géostationnaire où la force centrifuge l’emporte sur l’attraction gravitationnelle de la Terre ». Cet édifice prométhéen partirait de Kourou en Guyane (peut-être encore ?) française. Cet ouvrage a fait sensation, en particulier dans le petit milieu feutré de la science-fiction française où coopérer avec l’armée relève presque de la trahison…

     

    La mobilisation virale du vivant

     

    En 2023 sort le deuxième tome qui n’explore que deux hypothèses inattendues. La Red Team pour ce livre comprend Virginie Tournay, Laurent Genefort, Romain Lucazeau, Capitaine Numericus, François Schuiten et Saran Diakhité Kaba. Contrairement au premier tome, d’autres contributeurs forment une Purple Team qui doit « fournir les connaissances scientifiques nécessaires à la cohérence et à la vraisemblance des récits ». Ainsi Édith Buser évoque-t-elle le « design, une force prospective » ou bien Greg de Temmerman réfléchit-il sur « Énergie : quelle rupture en vue ? ».

    Le premier scénario s’intitule « Une guerre écosystémique ». Il met en scène la militarisation du vivant et des questions environnementales. Le récit se déroule dans un cadre uchronique quelque peu bancal. « L’Est de l’Eurasie est dominé par un vaste empire, héritier des conquêtes de Gengis Khan aux XIIe siècle et suivants : la Horde d’Or. Cette puissance hégémonique a survécu aux turpitudes d’un millénaire d’histoire. » Elle s’oppose à « une alliance défensive : la Ligue hanséatique. Elle rassemble le Mecklembourg, la Poméranie, le Brandebourg, la Saxe, la Prusse, la Westphalie, la Suède, la Finlande et le Danemark, la Bourgogne, la Francie occidentale, le duché de Bretagne, le royaume des Angles et des Saxons. Marquée par un certain progressisme, la Ligue promeut la démocratie municipale, les droits des individus et la liberté de commerce ».

    Dans ce climat de guerre froide, « l’ensemble des règnes du monde vivant, incluant évidemment l’espèce humain, constituent une arme en puissance. […] Aussi, la guerre n’a plus d’espace à proprement parler, le théâtre des opérations est infini. Ses temporalités sont multiples : tout changement imperceptible à un instant donné peut se révéler dévastateur à l’instant suivant. C’est le principe de ces guerres que l’on qualifie dorénavant d’“ écosystémiques “ », surtout que le grand public parvient à manipuler depuis chez lui différents génomes. Cette situation favorise l’essor du biolibéralisme, car « la manipulation du vivant devient plus accessible; elle entre dans la sphère domestique et les pratiques individuelles de la même manière que l’ordinateur personnel un demi-siècle plus tôt ». Désormais, presque tout le monde peut concevoir des armes biologiques ou même des « armes écosystémiques, c’est-à-dire capables de modifier un écosystème entier pour le rendre plus favorable à un camp dans un conflit ». Sylvain Gariel, directeur général de DNA Script explique, dans « Ingénierie génique et biosécurité », que « les technologies de biologie moléculaire impliquant l’utilisation d’ADN de synthèse ouvrent des possibilités d’armes biologiques dont pourraient s’emparer des acteurs mal intentionnés ». Avec « Altérer le milieu géographique de la science-fiction ? », l’inévitable historien et ancien officier des troupes de marine, Michel Goya, estime que « la transformation du milieu […] peut […] aussi […] le rendre plus agressif ». Par ailleurs, « les armes biologiques peuvent être transportées à partir de simples vecteurs viraux ou provenir de corps malades vivants ou morts ». Ou bien les armées peuvent projeter des insectes génétiquement modifiés vers l’ennemi. La démonstration ne convainc guère cependant.

     

    Vers une guerre intense décarbonée

     

    Le second scénario s’appelle « Basse énergie : après la nuit carbonique ». Il décrit une opération militaire dans un État fictif à l’ère de la décarbonation alors que l’équipement des soldats reste très gourmand en énergie. Ce sujet prend une part considérable dans la conduite des opérations militaires et ce, malgré l’intégration numérique des combattants : « communications, casques, enskins, batteries personnelles, collecteurs d’énergie ». Les unités combattantes disposent en outre d’« armes à énergie dirigée […], [de] tenues de camouflage actif dites “ capes d’invisibilité “, [de] jetpacks à micro-turbines silencieuses permettant de survoler un terrain accidenté ou boueux sur de courtes distances ». L’« enskin » « est une combinaison personnelle conçue pour recueillir toute énergie corporelle (cinétique, musculaire et calorifique produite par chaque mouvement) grâce à des capteurs et des ports d’adduction incorporés », le tout dans le cadre d’une « sobriété énergétique » obligatoire et d’un abandon des énergies fossiles par les forces armées. En conséquence, outre la prise en compte des facteurs temporels, logistiques, géographiques, capacitaires et politiques, les états-majors doivent inclure dans leurs plans tactiques de nouvelles données énergétiques, environnementales et numériques, celles-là.

    Le cumul et l’enchaînement des crises énergétiques, écologiques et climatiques favoriseraient le changement des mentalités. « Chaque dépense énergétique, à petite ou grande échelle, est prise en compte. Ce chiffrage est facilité par une systématisation du traitement massif de données de l’énergie, et par la volonté de la société d’opérer cette transition vers le décarboné. On passe du Tout hydrocarbure au Tout électrique, ce qui implique :

    - des modes de production diversifiés et géographiquement éclatés (nucléaire, éolien, photovoltaïque, gaz verts, hydraulique);

    - des circuits de distribution qui quantifient les dépenses énergétiques à tous les niveaux, de l’individuel au macro.

    Chaque organe de la nation est tenue à une sobriété énergétique strictement encadrée. » La problématique des dépenses énergétiques, surtout en temps de conflit, nécessite pourtant « en permanence, note Nadia Maïzi du GIEC, des arbitrages, des compromis fins entre poids, énergie, puissance ».

    L’intégration de ces contraintes bouleverse donc la tactique. Le champ de bataille devient multidimensionnel ! Nadia Maïzi insiste encore « sur un paradigme dont on ne débat pas suffisamment : l’alternative entre les systèmes centralisés qui organisent notre monde et les systèmes décentralisés qui pourraient s’imposer dans l’avenir – notamment au plan énergétique, mais pas seulement ». Dans ces circonstances nouvelles propres à l’après-Modernité balbutiante, l’Idée impériale gibeline conserve toute son actualité et prend même une réelle valeur pour les prochaines années.

    Adaptés pour le grand public, ces deux récits de la saison 2 plongent le lecteur dans des interprétations déstabilisantes. Il rencontre Arès soucieux d’écologie et d’énergies décarbonés. Mais les combats du futur pourront-ils vraiment se préoccuper d’environnement et d’un bilan carbone nul ? Les violents combats en Ukraine et à Gaza indiquent pour l’instant tout le contraire. Un troisième tome vient de paraître ces dernières semaines.

     

     

    Red Team, Ces guerres qui nous attendent 2030 – 2060. Saison 2, préface d’Alain Fuchs et de Cédric Denis-Rémis, éditions des Équateurs/PSL – Université Paris Sciences et Lettres, 2023, 210 p., 22 €.