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Les lansquenets d'Europe - Page 4

  • Observations non-conformes d’un film culte

    par Georges Feltin-Tracol

     

    Bloodsport.jpgAvant que la Metro Goldwyn Meyer rachète en 1993 Cannon, une compagnie de production cinématographique. Elle appartenait depuis 1979 à un duo israélien : le réalisateur et scénariste Menahem Golan (1929 – 2014) et son cousin, le producteur Yoram Globus (né en 1943). Pendant une décennie, ils investissent un genre particulier, le film d’action. Cela préfigure le « cinéma de sécurité nationale » si bien décrit par Jean-Michel Valantin (1).

    Outre une flopée de films centrés sur le ninja (Ultime Violence. Ninja 2 en 1983), le tandem produit en grand nombre des films qui présentent un Occident conservateur et traditionnel sans cesse menacé par la subversion crypto-communiste. Les têtes d’affiche s’appellent Chuck Norris (Invasion USA en 1985 et Delta Force en 1986) ou Sylvester Stallone (Cobra en 1986). Considérés à leur sortie par une critique bien-pensante comme des « nanars », ces productions sont désormais des classiques, surtout si on les compare avec les réalisations franchouillardes d’aujourd’hui au scénario insipide, au jeu d’acteur lamentable et à l’indéniable imprégnation idéologique dyssexualiste effarante et effrayante. Cannon a aussi financé le célébrissime Highlander (1986) de Russell Mulcahy avec Christophe Lambert et Sean Connery, et même King Lear (1988) du Suisse Jean-Luc Godard !

     

    La relance du film de karaté

     

    Cannon va par ailleurs rendre célèbre le Belge Jean-Claude Van Damme. Né en 1960 à Bruxelles sous le nom de Jean-Claude Van Vaerenbergh, Van Damme vivote à Hollywood où il joue souvent les figurants. Avant de bifurquer plus tard vers un chemin philosophique avec le concept transcendantal d’« Aware » - sans aucun rapport avec le wokisme malgré une étymologie commune signifiant « Se réveiller » -, il tourne sous la direction de Newt Arnold (1922 – 2000) Bloodsport ou, selon le titre français, Tous les coups sont permis. Sur un scénario commun de Christopher Cosby, de Mel Friedman et de Sheldon Lettich, Paul Hertzog écrit une bande-son mémorable et lancinante.

    Bloodsport coûte à Cannon environ deux millions de dollars. Quand Golan et Globus le visionnent pour la première fois en compagnie de l’équipe de tournage et des acteurs, ils sont si déçus qu’ils envisagent de renoncer. Van Damme se propose alors de refaire certaines scènes de combat ainsi que de remonter le film bien qu’il n’ait aucune formation dans la réalisation et le montage. La seconde version d’une durée de 92 minutes n’impressionne toujours pas les patrons de Cannon qui décident néanmoins de le distribuer directement en cassette vidéo, marqueur incontestable à l’époque de la série Z. C’est finalement en Malaisie que Bloodsport rencontre un succès inattendu si bien que les producteurs choisissent de le diffuser en salle aussi bien en Europe occidentale qu’en Amérique du Nord. Le film séduit un large public adolescent masculin. Il relance les films de « karaté » délaissés après le décès soudain de Bruce Lee en 1973. Il rapporte à Golus et Golan plus de cinquante millions de dollars, ce qui en fait l’une des réalisations les plus rentables du cinéma.

    L’intrigue se focalise sur Frank Dux, capitaine de l’armée étatsunienne de son état. Il excelle dans les arts martiaux. Il a bénéficié dans sa jeunesse de l’enseignement ancestral de Shinzo Tanaka, un Japonais installé aux États-Unis. Son fils unique décédé prématurément, il consent à former Dux au Ninjutsu, l’art martial ninja. Fin prêt, Frank Dux accepte de concourir au nom du clan Tanaka, expert dans le « Démak » (l’art de briser une brique en bas de la pile sans détruire les autres placées au-dessus), au Kumité que son maître a une fois remporté, d’où l’exposition d’un superbe Katana. Dux doit désobéir à ses supérieurs qui lui interdisent de s’y rendre. Deux policiers militaires qui agissent en civil dont l’un, l’agent Rawlins est joué par Forest Whitaker (2), doivent le retrouver, l’arrêter et le ramener aux États-Unis.

    Pendant son séjour hongkongais, Frank Dux connaît une romance amoureuse avec Janice Kent (Leah Ayres). Cette dernière veut être la première journaliste occidentale à couvrir cette compétition secrète. Au terme d’un final épique où Dux se remémore de toutes les leçons de son Shidoshi (maître), le Coréen du Sud Chong Li (joué par Bolo Yeung) est vaincu et doit crier « Maté ! » (« Je me rends ! »). Dux et les deux agents regagnent leur pays.

     

    D’étranges organisateurs...

     

    Le Kumité se déroule à Hong-Kong alors possession britannique. Tous les cinq ans, la Société du Dragon Noir organise un tournoi clandestin de trois jours et en neuf tours éliminatoires au cours duquel s’affrontent les spécialistes de tous les arts martiaux de la planète (3). Outre les karatékas et les as en taekwondo coréen, on y croise des champions en boxe thaï et en capoeira (la danse martiale afro-brésilienne). Divisés en deux groupes - Jaune et Rouge -, les participants emploient tous les coups possibles. Certains duels s’achèvent parfois de manière tragique. Ainsi, lors de la première demi-finale, Chong Li tue-t-il Chaun Ip Mung.

    Les liens entre le Kumité et la Société du Dragon Noir constituent une facétie des scénaristes. Nommé ainsi d’après la signification littérale des idéogrammes chinois, cette association s’appelle en réalité le Kokuryûkai, ou la « Société du fleuve Amour ». Elle se montre favorable à l’expansion nippone vers l’Ouest, la Chine du Nord, la Mandchourie et l’Extrême-Orient russo-soviétique. Créée en 1901 par Uchida Ryôhei (1874 – 1936) et émanation de la Gen.yôsha, elle-même fondée en 1881 et interdite en 1919 par Hiraoka Kôtarô, Tôyama Mitsuru et d’anciens samouraïs qui avaient salué la rébellion de Saigô Takamori en 1877 (4). L’implication de la Société du Dragon Noir, mouvement patriotique nippon, panasiatique et anti-russe, dans la préparation d’une compétition ouverte aux Chinois et aux Coréens paraît invraisemblable quand on connaît les pesantes dissensions mémorielles liées à l’occupation japonaise de la première moitié de la XXe siècle. Les scénaristes voulaient-ils éviter de fâcher les Triades de l’Empire du Milieu et peut-être les Yakuzas de l’Empire du Soleil levant ?

    Jean-Claude Van Damme interprète Frank Dux, coordinateur des scènes de combat pour le film. Bloodsport s’inspire en effet de sa propre vie. Né en 1956 à Toronto au Canada, Frank Dux aurait été en 1975 le premier Boréen victorieux à un Kumité. La même année, il fonde sa propre école d’art martial aux États-Unis, la Dux Ryu Ninjutsu. L’ultime scène du film mentionne qu’il a cumulé plusieurs records du monde (5).

     

    Dux et Kowloon

     

    Formé à Masuda au Japon par un certain Tanaka dès l’âge de 16 ans, Frank Dux aurait combattu 329 fois entre 1975 et 1980 (321 victoires, 7 nuls et 11 défaites). Il serait resté invaincu au World Heavy Weight Full Contact Kumite Championship qu’il aurait donc remporté au terme de soixante rencontres organisées aux Bahamas dans le plus grand secret… Il a publié plus tard une biographie (6) dont la teneur confirme ce que craignaient dès 1987 – 1988 les scénaristes de Bloodsport. Franck Dux affabule beaucoup ! Marine de 1975 à 1981, il aurait mené des opérations ultra-secrètes pour le compte de la CIA en Iran, au Nicaragua et en URSS avec la destruction complète d’une filière de production d’anthrax du KGB à Sverdlovsk ! En bon mythomane, il explique en outre que son père, Alfred Dux, Belge d’origine, s’engagea dans la Brigade juive avant de servir le Mossad avant même qu’apparaisse ce service ! Frank Dux annonce symboliquement les balivernes ultra-travaillées de la caste belliciste néo-conservatrice au lendemain du 11 septembre 2001.

    Dans Bloodsport, on peut s’étonner qu’un tournoi tel que le Kumité – qui n’a jamais fait la une de la presse alors que les gens parlent énormément bien avant l’apparition des réseaux sociaux – s’organise à Hong Kong. Existait à l’époque britannique une enclave : la citadelle de Kowloon (ou Kowloon Walled City). D’une superficie de 0,026 km² et peuplé de 50 000 habitants vivant dans des bâtiments surélevés aux rues labyrinthiques, ce territoire rempli de maisons closes, de fumeries d’opium et d’autres lieux interlopes, ne dépendait ni des autorités de Hong Kong, ni de la République populaire de Chine et encore moins de la République de Chine (Taïwan). Les Triades occupaient ce domaine restreint, sujet d’opérations policières coup–de-poing ponctuelles. Ce territoire disparaît en 1993, quatre ans avant la rétrocession officielle à Pékin.

    Plaisant à voir parce qu’il ne cherche pas à déclencher une tempête cérébrale chez le spectateur, Bloodsport tranche aussi avec les productions habituelles de Cannon très versées dans le militarisme et l’exaltation d’un super-patriotisme tantôt yankee, tantôt israélien. Au-delà des quelques observations non conventionnelles désormais mises en lumière, il continue à se regarder avec un vrai plaisir.

     

    GF-T

     

    Notes

     

    1 : Jean-Michel Valantin, Hollywood, le Pentagone et Washington. Les trois acteurs d'une stratégie globale, Autrement, 2003.

     

    2 : En 1999, Forest Whitaker incarne le rôle-titre, un tueur à gage qui règle sa vie sur les principes de l’Hagakuré, le code d’honneur des samouraïs, dans Ghost Dog. La Voie du Samouraï de Jim Jarmusch.

     

    3 : Méconnus dans la décennie 1980, le systema russe et le krav-maga israélien y sont absents.

     

    4 : Dont l’histoire est adaptée et retravaillée dans le film d’Edward Zwick, Le Dernier Samouraï (2003) avec, dans le rôle principal, le capitaine Nathan Algren alias Tom Cruise. En réalité, c’est un officier français, Jules Brunet (1838 - 1911), qui se rallia et conseilla un temps les rebelles.

     

    5 : Record du KO le plus rapide en 3,2 secondes, record du KO par coup de poing le plus rapide, record du coup de pied le plus rapide et record de victoires par 56 KO consécutifs.

     

    6 : Frank Dux, The Secret Man. An American Warrior’s Uncensored Story, ReganBook, 1996.

  • Retour au sacré

    par Gabriele Adinolfi

    esoter.jpgLe Solstice d'Hiver marque le réveil de la vie interieure lors de la renaissance de la lumière. C'est donc le moment de recueillement spirituel et intellectuel le plus profond pour récupérer la connaissance dans son essence ; et je pense que le deuxième livre de Christian René Robin, Ésotérisme Chrétien & Métaphysique Païenne, convient parfaitement. Ce livre fait suite à Le Futark ancien germanique, qui est le premier fruit d'une recherche de plus de trente ans, et d'autres écrits suivront.

    Cette deuxième publication n'est pas un livre ordinaire, mais elle représente une approche tangible et concrète de l'essentiel qui est à la fois immanent et transcendant, dominant nos capacités cognitives. Pour nous y connecter (re-ligere), une intelligence à la fois intuitive, rationnelle et empirique est nécessaire et ne peut être transmise sans une synthèse, rituelle, mythique, expressive. Ce n'est pas pour rien que l'on dit que le Savoir Sacré se transmet par analogies.
    Cela n'a rien à voir avec les prétentions et les distorsions des gnostiques, mais c'est bien plus simple et serein. Ce n'est pas pour rien que celui qui saisit l'essentiel est un enfant, car il le reste d'esprit.

    Dans ce livre, que je considère incontournable, Robin part de la guématrie qui “n'est pas une fin en soi. Elle n'est qu'un support aux rêves qui accompagnent les mythes afin d'exprimer une forme ésotérique liée directement à une réligion, c'est la preuve par 9 comme on disait des ennéades. Cette forme de pensée par l'arithmétique donne un sens aux alphabets, aux mots, aux noms et aux mésures ésotériques du monde. Elle offre une dimension mathématique qui envisage la présence d'une puissance divine universelle, développée et mesurable en toutes formes et en toutes choses”.
    Comme je l'ai préalablement mentionné, cela a très peu en commun avec les spéculations gnostiques et les prétentions intellectuelles des gourous matérialistes qui se prennent pour des initiés. Tout le contraire.
    En 336 pages, l'auteur démontre comment, dans les formules, les mythes et l'accompagnement des rituels chrétiens (y compris l'Eucharistie et le Paraclet), on retrouve une continuité avec la métaphysique telle que l'ont perçue, exprimée et symbolisée nos ancêtres.

    Le but du livre n'est pas de s'attarder sur les philosophies, les idéologies ou les gestions politiques de l'Église, mais plutôt d'aller à l'essentiel, reconnaissant à la fois la continuité et les variantes exprimées par le Catholicisme Viril par rapport à ce qui l'a précédé temporellement. À condition que, sur un plan essentiel, donc intemporel, donc éternel, la séquence temporelle soit si importante. Ce qui est important, c'est ce qui relie à l'Absolu, et dans cette intention, le livre de Robin est exceptionnel.
    À une époque où la demande de religion oscille entre la recherche d'une béquille et un fanatisme fondamentaliste à brandir pour une identité tribale, remettre les pendules à l'heure avec, justement, une essentialité sobre et structurée, nous offre une vision lucide et verticale de nous-mêmes, parvenant à rassembler à la fois l'Absolu qui nous surplombe, et la manière dont, avec peu de variations, les peuples européens se sont toujours conçus par rapport à ceci et comment ils en ont été inspirés.

    Pour le commander: https://europa-diffusion.com/fr/accueil/9649-esoterisme-chretien-metaphysique-paienne-le-nombre-37-comme-clef-d-un-savoir-bien-garde-.html

  • Court traité d’anti-Modernité

    par Georges Feltin-Tracol

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    Cela fait trente ans que l’auteur de la présente recension connaît Arnaud Guyot-Jeannin. Il l’a rencontré pour la première fois lors d’une université estivale du GRECE dans le Sud de la France. Arnaud Guyot-Jeannin se singulariserait déjà au sein de la rédaction d’Éléments en exprimant une point de vue traditionaliste catholique qu’il n’a cessé d’approfondir et d’étayer.

    La Tradition sans complexe est son nouvel ouvrage. Court et dense – ce qui est judicieux en ces temps où la lecture rebute les jeunes générations -, le livre s’organise en deux parties. La première correspond à un « abécédaire de l’Antimodernité » tandis que la seconde présente six portraits d’écrivains antimodernes. Y figurent bien sûr Georges Bernanos, Paul Sérant et le bien trop méconnu Gustave Thibon. Pourquoi n’évoque-t-il pas Bernard Charbonneau ? Pierre Drieu la Rochelle et Denis de Rougemont se référaient-ils pour leur part à la Tradition ? Si le premier a bien lu les écrits de René Guénon, force est de constater que son socialisme fasciste et ses appels à une révolution européenne capable d’insuffler au Vieux Continent un nouvel élan franc et gothique qui ne correspondent guère à l’enseignement guénonien. Pis, dans les dernières semaines avant son suicide, Drieu la Rochelle voyait en Joseph Staline et dans le communisme soviétique une vitalité absente dans son propre camp. S’il avait survécu à l’Épuration, Drieu aurait-il été le premier des « nazis – maoïstes » selon cette appellation stupide et plumitif en mal de sensations manipulatrices ?

     

    Proudhon et Rougemont, des contresens ?

     

    Quant à Denis de Rougemont, on a trop tendance à se focaliser sur sa période non-conformiste des années 1930 ainsi qu’à sa participation à la revue L‘Ordre Nouveau. On oublie que, traumatisé par le second conflit mondial, ce précurseur suisse de l’écologie politique est à l’origine du Conseil de l’Europe en 1949 et de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950. Ces deux initiatives permettent, entérinent, voire encouragent aujourd’hui la submersion migratoire et les dévoiements sociétaux. Après-guerre, Denis de Rougemont ne limita plus son fédéralisme à la seule Europe. Il l’envisagea à l’échelle planétaire. La Tradition primordiale serait-elle l’auxiliaire inattendu du mondialisme ? L’auteur de L’Amour et l’Occident n’est pas un « traditionaliste », mais plutôt un observateur sceptique et méfiant envers toute volonté politique...

    Peut-on enfin considérer Pierre-Joseph Proudhon, le théoricien socialiste mutualiste de Besançon, comme un penseur traditionaliste ? Certes, son fédéralisme intégral s’attache à des groupes de mutualité ouverts aux manouvriers agricoles, aux petits paysans, aux artisans, aux petits commerçants et aux ouvriers. Proudhon ne fait que théoriser dans le monde de la production de très antiques pratiques de solidarité commune. En outre, « au début du XIXe siècle, note Arnaud Guyot-Jeannin, la Franche-Comté est française depuis moins de cent cinquante ans. Il s’agit d’une vieille terre lotharingienne, l’une des plus tardivement rattachées à la couronne ». Plus que la Lotharingie, l’héritage franc-comtois est d’abord et avant tout habsbourgeois. Jusqu’en 1678, le libre comté de Bourgogne, terre du Saint-Empire, eut pour suzerain le roi d’Espagne. Après l’annexion française, pendant plus d’un siècle, maints Francs-Comtois de tout rang se firent enterrer le dos tourné vers Paris afin de marquer leur fidélité posthume à la Monarchie hispanique. À la chute du Premier Empire, les puissances coalisées cherchent à réactiver cette vieille loyauté en créant entre janvier et juin 1814 un « État de Franche-Comté » dont la capitale siégeait à Vesoul et qui s’étendait aux départements du Doubs, de Haute-Saône, du Jura et des Vosges sans oublier les anciennes principautés de Montbéliard et de Porrentruy. Mais ce sera éphémère en raison des réticences du tsar Alexandre Ier, conseillé par le Savoisien Joseph de Maistre. Pétri de cet état d’esprit décentralisateur ancré dans les consciences, Proudhon reformule avec la grammaire de son temps (le socialisme industriel) réflexes subsidiaristes.

    Arnaud Guyot-Jeannin redéfinit à son tour une pensée clairement « traditionaliste-révolutionnaire [qui], loin de représenter un oxymore, consiste à défendre une doctrine salutaire en faveur des forces de la vie contre la culture de la mort ». L’auteur n’est ni passéiste, ni conservateur et encore moins réactionnaire. Il n’entend surtout pas garder ou figer le monde actuel. Il propose en revanche une vue du monde hiérarchisée et verticale. Ainsi rejette-t-il le mythe égalitaire. « L’égalitarisme engendre une compétition d’accession à l’égalité. Chaque homme veut être plus égal que son voisin. »

     

    Tradition contre Modernité

     

    À partir des traditions combattantes issues de la doctrine sociale de l’Église catholique, de la Contre-Révolution, du maurrassisme, du mouvement identitaire et du pérennialisme, l’auteur suggère une autre voie crédible capable de rejeter le primat de la Modernité, ce « un modèle de civilisation qui remonte historiquement à la Renaissance et au processus de sécularisation/laïcisation du christianisme ». Sous l’impulsion de quelle novation ? Il ne l’écrit pas, mais les historiens des religions l’ont désignée : la Réforme protestante, cette interprétation vétérotestamentaire du catholicisme. Ils auraient pu préciser que la réponse officielle de l’Église romaine au moment du concile de Trente (1545 – 1563) a donné la Réforme catholique, soit un palier supplémentaire vers la sécularisation des peuples européens. Plus loin dans le temps, le Grand Schisme d’Occident (1378 – 1417 ou 1422) a durablement meurtri la Chrétienté médiévale occidentale, fort bien affaiblie par la disparition des christianismes celtiques et de nombreux rites (dont le rite mérovingien), au point qu’une approche « ecclésiovacantiste » ne serait point superflue…

    Le problème porte sur la Modernité qui a tendance à évoluer (à muer ?) en Hyper-Modernité. « Les sociétés hypermodernes véhiculent, d’une façon parodique, des transcendances substitutives, tout au moins en Occident : celle de l’argent, de la technique et de la science. » Que répondre à ce défi existentiel ? Comment le relever ? Dans un entretien mis en ligne sur le site de la revue Éléments, le 8 novembre 2023, intitulé « Quoi de nouveau ? La Tradition ! » Arnaud Guyot-Jeannin estime que la Tradition comporte sa propre dynamique interne et qu’il importe que « d’éviter le piège consistant à reprendre des expressions hybrides qui ne veulent pas dire grand-chose comme d’éviter le piège consistant à reprendre des expressions hybrides qui ne veulent pas dire grand-chose comme “ l’archéo-futurisme “ ou “ le traditionalisme post-moderne “. Il ne peut pas y avoir de compromis entre la Tradition et la Modernité ». Il conteste un article de Pierre Vial de la fin des années 1980 qui saluait le maintien de l’esprit traditionnel dans le Japon moderne. La société nippone commençait à peine à verser dans les excès modernes. Pourquoi ? Parce que les Japonais tentent de compenser au quotidien la défaite catastrophique de 1945 et l’emprise étatsunienne sur des âmes en partie rééduquées qui en découle… Pour l’auteur de La Tradition sans complexe, « le capitalisme et les techniques modernes l’emportaient déjà sur les éléments traditionnels japonais. La vie traditionnelle était incluse dans l’entreprise à l’intérieur de laquelle la compétition marchande et la maximisation des profits étaient la loi : la loi du marché. On ne peut chevaucher la finance ! » François Hollande, sors du corps d’Arnaud Guyot-Jeannin ! Il est possible de la soumettre à la condition qu’elle réintègre le troisième ordre afin d’agir pour des desseins spirituel et/ou souverain transcendants.

     

    Quel dépassement possible ?

     

    La conciliation de la Tradition au sens d’habitudes ethno-culturelles entérinées au fil des âges et de la Modernité prise en particulier sur le plan technique se manifeste au Japon sous l’ère Meiji (1868 – 1912). Des essayistes d’une révolution conservatrice reprennent et affinent cette synthèse japonaise au cours des décennies 1920, 1930 et 1940. Pensons d’abord au nationaliste-révolutionnaire du Grand Japon Kita Ikki (1888 – 1937), au député du Parti social des masses Kawakami Jôtarô (1889 – 1965), à l’idéologue panasiatiste Kanokogi Kazunobu (1884 – 1949) ou à l’indianiste et islamologue Ôkawa Shûmei (1886 – 1957), conseiller influent du Parti patriotique du travail.

    En critique avisé du cinéma français qu’il apprécie entre les années 1930 à la fin des années 1970, Arnaud Guyot-Jeannin n’est-il pas un « traditionaliste moderne » qui utilise le téléphone, la radio et Internet ? Cet anti-moderne convaincu sait parfois transiger avec son temps.

    Il est regrettable que son abécédaire ne compte que quarante-cinq notices. Cela restreint le déploiement de sa réflexion. La notice polémique sur Charles De Gaulle reprend dans les grandes lignes De Gaulle. La grandeur et le néant de Dominique Venner. Celle sur le national-socialisme est affligeante. Elle s’apparente à une énième diatribe « antifa ». Remarque déconcertante de la part d’un tenant de la Droite intégrale (expression de Julius Evola bien connu pour son antifascisme militant). Il touche au contraire juste avec « les immigrés extra-européens [qui] sont déracinés et acculturés au modèle marchand occidental. Ils sombrent alors dans la délinquance, le métissage et l’anomie sociale qui peuvent se combiner à la pratique d’un islam mutant (islamo-racailles, talibanlieusards) ». On retrouve les mêmes méfaits chez les autochtones qui vivent dans la « France périphérique », car la césure assez récente d’ailleurs entre la ville et la campagne se comble sous l’impulsion de la rurbanisation et de l’étalement urbain. Le modèle républicain, stato-national, universaliste – individualiste et assimilationniste est un funeste ethnocide aussi bien pour les étrangers que pour les Français de racines albo-européennes. En fait, « l’identité nationale est complémentaire d’autres identités. Régionales et locales, elles sont l’expression de la belle diversité que manifeste la condition humaine ».

    Arnaud Guyot-Jeannin est aussi et surtout un Européen convaincu. Il désire « une Europe de la puissance et de la décroissance (on ne peut produire et consommer à l’infini dans un espace fini). Celle-ci doit être autocentrée, souveraine et possédant le sens des limites ». Seule l’appropriation de la Technique, son arraisonnement, dans une perspective traditionnelle peut réaliser cet objectif louable. La Post-Modernité tragique, communautaire et organique peut contrecarrer l’Hyper-Modernité à la condition d’associer dans une triade symbolique Apollon, Dionysos et Faust afin que la réponse post-moderne se fasse a-moderne.

    Arnaud Guyot-Jeannin, La Tradition sans complexe. Abécédaire et textes de l’Antimodernité, préface de l’abbé Guillaume de Tanoüarn, postface de Denis Sureau, Éditions de la Nouvelle Librairie, coll. « Dans l’arène », 2023, 188 p., 15,50 €.