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Les lansquenets d'Europe - Page 2

  • L’illusion militaire hexagonale

    Georges FELTIN-TRACOL

    Merchet.jpgAncien journaliste à Libération, Jean-Dominique Merchet est le porte-parole officieux de l’état-major français. Il collabore aujourd’hui à L’Opinion, un quotidien de la galaxie de l’extrême centre (comprendre le macronisme et ses succédanés). Ce spécialiste du fait militaire s’interroge sur la capacité réelle des Français à vivre une guerre majeure avec une puissance étrangère équivalente (on ne parle pas d’un conflit avec Monaco, la Belgique ou les Fidji, ni d’une série d’attentats organisés par des terroristes).

    Son propos concerne un conflit conventionnel qualifié de « haute intensité » (termes qu’il récuse) et qui s’apparenterait à l’actuelle guerre entre l’Ukraine et la Russie, voire entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. L’auteur pense ses compatriotes capables de tenir le choc émotionnel à l’instar des Ukrainiens. On ne sera pas aussi optimiste sur l’état d’esprit et la résilience de la population française en cas de bombardements fréquents, de coupures quotidiennes d’eau et d’électricité et de pénuries généralisées. Toutefois, son essai rappelle des faits têtus et occultés très inquiétants.

     

    Des forces multi-opérationnelles de petite dimension

     

    En cas de conflit de haute intensité entre deux armées conventionnelles, les unités françaises ne pourraient qu’un front long de… 80 km ! Et pourtant, « la France est présente dans le club fermé des puissances nucléaires, spatiales, des capacités de commandement, de l’“ entrée en premier “, des forces spéciales, des porte-avions, des sous-marins nucléaires, des partenariats militaires, de l’aviation de combat, de l’hypersonique, du cyber, etc. » En fait, « l’armée française, c’est l’armée américaine, mais en version bonzaï. » L’auteur assène que, « depuis trente ans, l’armée française n’est plus organisée d’une manière lui permettant de remonter en puissance. Elle […] est une armée d’emploi à flux tendu. Et même parfois très tendu ». Il ajoute que « l’armée françaises n’a pas toujours été dans le passé, tant s’en faut, une armée de vainqueurs ». Il regrette maintenant qu’elle « continue à préférer Tahiti à Varsovie, le “ grand large “ au Centre-Europe ». Serait-il favorable à l’autodétermination des territoires français d’Océanie ? Il semble n’avoir toujours rien compris à l’importance stratégique de la thalassopolitique.

    Jean-Dominique Merchet avance que les forces françaises n’ont pas les moyens nécessaires pour assumer l’ensemble de leurs missions entravées par le maintien de la force de frappe atomique. Il estime qu’en 2013, la dissuasion nucléaire coûtait 380 milliards d’euros ! Cette charge est-elle toujours supportable pour une France en faillite latente ? Il souligne que « de plus de trente ans, nous choisissons donc les guerres que nous menons, en les qualifiant d’ “ interventions “ ou d’ “ opérations “ ». dans le même temps, la professionnalisation n’attire pas en raison de la faible attractivité de la carrière militaire. L’engagé découvre vite les nombreuses contraintes qui phagocytent sa vie privée. La dégradation de la condition physique et de l’état d’esprit des candidats (obésité et dépendance aux écrans) contribue à cette désaffection. L’auteur s’oppose cependant au retour du service militaire obligatoire. Il s’offusque que des personnages politiques et des publicistes réclament le déploiement de la troupe dans les banlieues de l’immigration. Il craint que cette présence provoque au final une situation comparable aux « Temps des Troubles » en Irlande du Nord entre 1968 et 1998. Il prône en revanche le renforcement de la réserve militaire ainsi que de meilleures campagnes publicitaires qui inciteraient les jeunes adultes (garçons et filles) à un engagement à moyen terme.

     

    Une économie militaire en déshérence

     

    L’auteur pointe par ailleurs les faiblesses structurelles de l’industrie française de l’armement qui subit le contrecoup désastreux de la désindustrialisation du pays sous les coups mortifères d’une économie mondialisée, « tertiarisée » et financiarisée. Les chars Leclerc demeurent en sous-effectif chronique. La France ne dispose plus d’appareils productifs industriels indépendants pour fabriquer des munitions de petit calibre et des fusils d’assaut sans oublier le fiasco franco-européen des drones. C’est une véritable catastrophe pour un secteur majeur en matière d’exportations.

    Ces manques cruciaux affaiblissent la BITD (base industrielle et technologique de défense). « En France, c’est un secteur industriel composé de neuf grands groupes (Airbus, Thales, Safran, MBDA, Naval Group, Dassault, Nexter, CEA, ArianeGroup), de plus de 4 000 petites et moyennes entreprises, dont 450 considérées comme “ stratégiques “ par le ministère des Armées. » Or, précisément, « la capacité de nombreuses PME à recruter du personnel qualifié et à se fournir en matières premières (souvent importées) fait partie de la défense nationale ». Résultat, « en Occident, les stocks d’armes et de munitions sont trop faibles pour alimenter durablement un conflit de haute intensité. Surtout, les capacités industrielles de remontée en puissance se révèlent à la fois limitées et trop lentes ». La France n’est pas prête. Nous revoilà à la veille de 1870 !

    Ses fortes critiques omettent toutefois le véritable motif de cette faillite. Outre l’avènement d’une société égotiste qui rend toute discipline collective difficile, il ne mentionne pas les critères budgétaires de Maastricht qui s’étendent au domaine de la défense. Il devient ardu d’élever les dépenses militaires à 2 % du PIB dans le cadre de l’OTAN tout en respectant sous les fameux 3 % à moins de serrer le cordon de la bourse ou de limiter les dépenses sociales ou culturelles...

    La France peut faire une guerre pendant une heure au moins. Après... Jean-Dominique Merchet parie sur les capacités de survie psychologique de la population française. Elle saura surtout réagir aux attaques par des incantations pacifistes, des bougies allumées à la place des cadavres ramassés, des peluches déposées devant les bâtiments détruits et de la vaseline. On saura moins optimiste en tant que francovacantiste assumé.

     

    GF-T

     

    Jean-Dominique Merchet, Sommes-nous prêts pour la guerre ? L’illusion de la puissance française, Rober Laffont, 2024, 224 p., 18 €.

  • Par-delà l’Occident et le conservatisme, vers l’hespérialisme européen

    par Georges FELTIN-TRACOL

     

    Engels.jpgEn 2013, Le Toucan éditait le premier essai de David Engels : Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine. Quelques analogies. L’auteur, né en 1979, comparaissait le chaos du premier siècle avant Jésus-Christ à Rome et les dysfonctionnements manifestes et répétés d’une machinerie totalitaire soi-disant européenne. Depuis cette sortie, David Engels qui s’inspire ouvertement de la méthode comparative culturaliste d’une figure de la Révolution conservatrice allemande, a fondé en 2017 et préside la Société Oswald-Spengler. Cette assemblée a remis en 2018 son premier prix à l’écrivain français Michel Houellebecq. Outre la réédition de Que faire ? Vivre avec le déclin de l’Europe (2019), les éditions de la Nouvelle Librairie vont bientôt publier sa biographie de l’auteur des Années décisives.

    Défendre l’Europe civilisationnelle se veut philosophique et politique. « J’ai été franc et me suis permis, écrit-il, n’étant heureusement pas homme politique, de livrer au lecteur le fond de mes réflexions sans envisager une éventuelle adéquation avec tel programme politique, telle préoccupation électorale ou telle question d’actualité. » Il observe que « l’Europe a longtemps été divisée entre une gauche eurofédéraliste et une droite souverainiste ». C’est un schéma grossier, simpliste et réducteur. Le gaulliste d’extrême gauche Régis Debray défend la souveraineté nationale. Malgré le vote négatif des Français et des Néerlandais en 2005, Nicolas Sarközy, difficilement classable à gauche pour la médiastructure du Système, a fait adopter le traité de Lisbonne.

     

    La fin de l’Europe

     

    Pour David Engels, nos sociétés sombrent dans une « grande confusion » perceptible par l’existence de menaces contemporaines, à savoir le « dataïsme », l’idéologie LGBTQIA+++ et le transhumanisme. Il assiste, effaré, à la destruction simultanée et conjointe du noyau familial, de la tradition, du cadre démocratique compris comme participation des citoyens au devenir de leur cité, des nations historiques, des écosystèmes, des activités économiques broyées par l’émergence d’oligopoles planétaires et finalement de tout sens esthétique. « La civilisation européenne arrive à son stade final, et même si le christianisme lui survivra assurément encore très longtemps, il n’est pas sûr que ce soit sur ce continent ou sous des formes que nous identifierons comme européennes. » En effet, les identitaires se focalisent trop sur l’islamisation en cours favorisée par le grand remplacement des autochtones d’Europe à l’avantage des masses allogènes méridionales et orientales. Ils sous-estiment l’offensive des nouveaux cultes chrétiens auprès des classes moyennes à travers l’essor des mormons ou l’action des missions évangéliques protestantes dans les banlieues où vivent des populations africaines et antillaises. Toutefois, cette compensation spirituelle reste une parodie propre aux religiosités secondaires. Leur présence croissante démontre surtout que « l’Europe ne meurt pas parce qu’elle est menacée de l’extérieur ou de l’intérieur, mais parce que tout le monde – que l’on me permette l’expression – s’en fiche, à un tel point que même les derniers Européens ne parviennent plus à maintenir la continuité spirituelle avec le passé ».

    Dans un contexte crépusculaire qui charrie stérilité, laideur et médiocrité, David Engels voit dans l’Europe un vecteur salutaire de résistance et de redressement civilisationnels. Il rappelle pour le plus grand déplaisir des nationaux-souverainistes que « longtemps avant d’avoir été divisée en États, l’Europe fut déjà une unité politique, culturelle et surtout spirituelle, et les nations n’ont fait qu’en exprimer (et parfois exacerber) des facettes choisies ». En bon spenglérien, il reconnaît que « l’esprit européen faustien, toujours séduit par les extrêmes, a poussé sa propre autodestruction à un point effectivement assez inouï dans l’histoire humaine ».

    C’est la raison pour laquelle l’auteur veut s’affranchir du conservatisme et de la notion moderne d’Occident qui déborde largement du limes civilisationnel européen. Il suggère d’entreprendre un projet politique ambitieux qui se traduirait dans les faits par une « confédération de nations européennes » et la refondation d’« un ordre politique fonctionnel ». Les défis sont multiples. Outre le progressisme et sa métastase purulente, le wokisme, David Engels s’élève contre le « socialisme des milliardaires » (collectivisme privé aurait été plus percutant). Il craint qu’« une fois l’accès au pouvoir total des oligarques assuré et les derniers résidus de la démocratie libérale disparus, la compétition entre les nouveaux Césars de l’économie entrera dans une phase chaude et se déversera aussi dans le domaine politique » Ainsi juge-t-il nécessaire d’établir un paradigme novateur. « Pour être en position de force, il faudrait avoir créé une idéologie sérieuse et convaincante, des réseaux solides, des médias populaires, un langage politique inimitable, des zones d’influence et de pouvoir exemplaires et surtout une jeune élite idéaliste et compétente – un combat qui est tout sauf gagné, et qui dépend largement de notre capacité de raviver la flamme de la transcendance et du patriotisme hespérialiste dans le cœur des jeunes ».

     

    Trois sources de renouveau ?

    L’auteur invite par conséquent les Européens, en particulier les jeunes adultes, à renouer avec trois sources de leur civilisation, à savoir « l’ancien Proche-Orient », l’Antiquité classique gréco-romaine et le christianisme occidental romain. Il écarte en revanche toute référence aux Indo-Européens. C’est surprenant quand on sait que leur présence a façonné l’égrégore initial des divers peuples boréens, en particulier cette volonté faustienne vitale qu’approuve d’ailleurs David Engels. Il insiste en outre dans une perspective catholique sur la nécessité de restaurer une transcendance propre aux peuples autochtones. Or cette transcendance ne peut être que chrétienne. « Pendant au moins un millénaire, le christianisme a été la voie privilégiée de l’homme européen, après la chute de la civilisation gréco-romaine, pour comprendre, vénérer et accéder à la transcendance. » Fort bien. Mais oublie-t-il la forte et profonde déchristianisation avancée de l’Europe ? La hausse des baptêmes d’adultes et le succès des processions populaires tels le pèlerinage de Chartres ne doivent pas cacher cette tendance durable. Pourquoi David Engels n’évoque-t-il le rôle joué dans la genèse de l’Europe médiévale du christianisme celtique et de sa seconde évangélisation ? « L’éclipse du sacré » va perdurer. Que faire en attendant ?

    Pourquoi ne pas se lancer sur la voie de l’unité politique européen ? « L’Europe est tellement plus que la simple somme des personnes habitant nos terres : elle doit aussi rester fidèle à l’héritage de nos ancêtres par le maintien d’une attitude positive face à la tradition, par la protection de l’idéal familial national et par une fierté saine pour la nature unique de sa civilisation. » Cette prise de conscience impose un élargissement de notre « horizon politique de la défense de la nation à celle de notre civilisation afin de s’approprier pleinement l’idée européenne et de se regrouper autour de l’idée de l’hespérialisme ». D’après David Engels, « il est grand temps pour les amoureux de la véritable tradition européenne d’embrasser rigoureusement la troisième voie d’un engagement patriotique en faveur d’une unification européenne qui ne se baserait pas sur la lutte contre les identités et les traditions, mais plutôt sur leur défense et leur continuation : l’hespérialisme ». Il précise volontiers que « l’esprit d’une telle Europe alternative [… devrait-elle] être idéalement conçu[e] – une utopie, que je désignerais, suivant l’appellation des Grecs pour l’extrême Occident du monde connu, par le terme “ hespérialisme “ ».

    Avec l’hespérialisme et « dans les mains de la tradition, l’Union européenne pourrait devenir un instrument essentiel dans la reconfiguration identitaire de notre continent, d’autant plus que l’écrasante majorité des citoyens est fondamentalement opposée à la dissolution de l’Union, de la libre circulation des personnes et biens, ou de la monnaie commune. Ajoutons à cela qu’il est très peu probable qu’une fois l’Union européenne dissoute, on puisse trouver un accord rapide entre les nombreuses nations européennes pour en reconstruire une nouvelle variante en partant à zéro. La seule solution à ce dilemme est un combat résolu pour la transformation, non pas la dissolution de l’Union ». Soit ! Les confinements covidiens ont quand même mis à mal cette liberté de circuler...

     

    La solution impériale

     

    Originaire de la communauté germanophone de Belgique, cet État est l’un des héritiers de la Grande Bourgogne subsidiariste et ses institutions fédérales autour des trois régions (Bruxelles – Capitale, Flandre et Wallonie) et des trois communautés (francophone, néerlandophone et germanophone) s’inspirent des thèses austro-marxistes), David Engels marque son attachement au modèle spirituel et historique du Saint-Empire romain dit plus tard germanique (ou de la nation germanique). « Le Sacrum Imperium […] pendant un millénaire, a assuré le vivre-ensemble paisible, l’ancrage collectif dans la transcendance et la défense vaillante de territoires allant de la France jusqu’à la Pologne et du Danemark jusqu’à l’Italie – un succès inouï. Alors que les entités confédérées jouissaient d’une autonomie maximale et concertaient leurs intérêts lors d’états généraux réguliers, l’élection libre d’un représentant commun assurait la défense militaire vers l’extérieur, le compromis lors de conflits intérieurs et la garantie d’un minimum de normes nécessaires pour l’épanouissement de tous. » Enseignant à l’Instytut Zachodni (« Institut de l’Ouest ») à Posnan en Pologne, il rapporte la variante subsidiariste locale avec la République des Deux-Nations (1569 - 1795) dans cette permanence politique fondamentale qui s’inscrit dans la très longue mémoire albo-européenne.

    Regrettons que l’auteur ne mentionne pas les revendications des rois de France, des derniers Valois à Louis XIV, à la dignité impériale. Il aurait pu y inclure les initiatives d’un empereur des Français d’origine corse qui cumulait les titres de roi d’Italie, de Protecteur de la Confédération du Rhin et de Médiateur de la Confédération suisse d’autant que la France a aussi été et l’est toujours un empire européen plus restreint.

    Subjugués, hypnotisés et formatés par l’anti-modèle cosmopolite étatsunien et occidental, les Français et les autres Européens accepteraient-ils d’adopter cette « supra-étaticité » qui délaisse le modèle bourgeois moderne décati de l’État-nation ? Il faut craindre que le Kairos soit passé et que l’universalisme français participe au mondialisme dissolvant des identités historiques bio-culturelles collectives qui constituent encore la richesse véritable de ce monde.

     

    David Engels, Défendre l’Europe civilisationnelle. Petit traité d’hespérialisme, Salvator, 2024, 162 p., 18,50 €.

  • À propos d’un Européen métapolitiste de France

    par Georges FELTIN-TRACOLNYBomb.jpg

    JM.jpgLe 15 août 2014 décédait brutalement à l’âge de 69 ans Jacques Marlaud à Roanne, sous-préfecture septentrionale du département de la Loire en région Rhône-Alpes. Il se présentait souvent en « second couteau » de ce grand courant d’idées qui traverse depuis plus de cinquante ans l’Europe, mais aussi les Amériques et même l’Asie et l’Afrique et qu’une grasse presse malintentionnée a qualifié improprement de « Nouvelle Droite ».

    Né à Alger le 4 décembre 1944 dans une famille nullement « pied-noire », Jacques Marlaud grandit en région parisienne. Il adhère très tôt à la FEN (Fédération des étudiants nationalistes) dans le tumulte de la crise algérienne (1954 - 1962). Il rejoint ensuite les rangs d’Europe Action. Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, il participe aux premières campagnes contre l’immigration nord-africaine en France. Il trace des lettres blanches majuscules sur les murs de Paris en plein milieu de la nuit des slogans hostiles au régime gaulliste, à la gauche et au cosmopolitisme.

    Ces opérations de propagande active s’achèvent régulièrement au poste de police dans le cadre d’une garde à vue. Niant avoir écrit quelque soit sur les murs, les militants de la FEN et d’Europe Action profitent des longues heures passées en cellule pour lécher les mains et effacer toute trace de peinture. La preuve disparue, les pandores ne peuvent que les relâcher !

    Outre des questions d’affects personnels, la rupture entre Pierre Sidos (1927 - 2020) et Dominique Venner (1935 - 2013) repose sur trois désaccords fondamentaux : l’orientation accordée à la dimension européenne de la culture française, le matérialisme biologique qui tend à soutenir sur tous les continents les bastions assiégés du « monde-race blanc » (Sud des États-Unis, Rhodésie, Afrique du Sud, voire l’empire colonial portugais) et le rejet assumé des institutions régaliennes, en particulier la police et l’armée. Un numéro célèbre de la revue Europe-Action encourage par exemple ses lecteurs à l’insoumission et au refus d’effectuer le service militaire.

     

    Des années d’exil et d’errance

     

    Au cours des années 1960, Jacques Marlaud doit servir sous les drapeaux. Son ordre d’incorporation le conduit dans un régiment du génie parachutiste implanté dans le Sud-Ouest de l’Hexagone. La vie en garnison l’agace aussitôt. Il veut bientôt appliquer le mot d’ordre révolutionnaire d’Europe-Action et choisit de déserter. Il franchit à pied les Pyrénées, arrive en Espagne et bénéficie assez vite du statut de réfugié politique. Il mène alors une existence précaire. À la fin de la décennie, il travaille dans un camping près de Barcelone. Il s’approche, un soir d’été, attiré par une certaine nostalgie, d’un groupe parlant français. Surprise ! Il y retrouve des visages connus, ceux d’anciens camarades de la FEN et d’Europe Action ! Ils l’informent du départ volontaire de Dominique Venner, de l’inflexion culturelle proposée par Alain de Benoist et de l’existence du GRECE (Groupement de recherche et d’études de la civilisation européenne). Ils s’échangent leurs coordonnées. Jacques Marlaud renoue le contact avec les fondateurs de la « Nouvelle Droite (ND) ».

    Au début de la décennie 1970, Jacques Marlaud traverse à bord d’un navire espagnol la Méditerranée occidentale et atteint le Sud de l’Italie. En auto-stop et avec l’aide des routiers – dont plusieurs pensent transporter un espion de l’Est ! -, il remonte la botte italienne, parcourt la Suisse et se rend en Allemagne fédérale. À Hambourg, il s’éprend d’Ursula Klampermeier issue d’une famille de réfugiés allemands des provinces perdues de l’Est. Les jeunes fiancés choisissent de s’installer en… Afrique du Sud. Jacques Marlaud passe plusieurs entretiens au consulat sud-africain du grand port allemand. Lors du dernier, décisif, il montre aux autorités consulaires au mépris des règles édictées naguère par Dominique Venner sa vieille carte d’adhérent à Europe Action qui comporte un message explicite aussitôt traduit. Le responsable sud-africain lui sourit et lui déclare que la République sud-africaine (RSA) sera ravie de l’accueillir.

    En Afrique du Sud, pendant une quinzaine d’années, Ursula et Jacques Marlaud ont sept enfants (quatre garçons dont deux jumeaux et trois filles). Jacques Marlaud travaille à la radio d’État dans le cadre d’émissions nocturnes en langue anglaise. S’il comprend l’afrikaans, il ne le parle pas. À la maison, la langue allemande est de rigueur. À côté de son activité professionnelle, Jacques Marlaud reprend des études universitaires en philosophie et en sciences politiques. En 1982, son mémoire porte sur Nietzsche : decadence and superhumanism. Il s’investit enfin dans la diffusion des idées néo-droitistes en Afrique australe, anime l’European Renaissance Association et publie un périodique bilingue anglais – afrikaans Ideas / Idees.

    Jacques Marlaud retourne en France en 1979. À la demande insistante de son épouse, il veut apurer devant la justice sa vieille désertion qu’il solde par quelques jours de détention. Il profite de ce séjour à Paris pour renforcer son amitié avec les figures principales du GRECE. Il organisera sous peu la visite en RSA d’Alain de Benoist, puis de Guillaume Faye. Il leur fait rencontrer plusieurs personnalités, y compris un intellectuel zoulou favorable à l’Apartheid compris comme le développement séparé et différencié des peuples distincts.

     

    Paganisme métapolitique

     

    Son nietzschéisme foncier et son intérêt pour les traditions européennes les plus ancrées l’amènent vers le paganisme. Sous la direction de Jan van Vynck de l’université de Port Elizabeth, il se lance dans un doctorat de littérature française achevé en 1984. Deux ans plus tard, la thèse paraît au Livre-Club du Labyrinthe préfacée par Jean Cau. La proximité de Jacques Marlaud avec les responsables historiques de la ND n’empêche pas une recension sévère Renouveau païen dans la pensée française dans le n° 59 d’Éléments par le littérateur en chef de la revue qu’il ne connaît pas encore (1). Dans l’avant-propos à la seconde édition sortie en 2010, Jacques Marlaud confirme que « l’expression “ renouveau païen “ dans le titre de cet ouvrage ne doit rien au hasard. Elle implique l’originalité aventureuse d’un nouveau départ, la reconnaissance d’une rupture assumée, recherchée, entre foi et raison, eros et agapè, monothéisme et polythéisme des valeurs (2) ».

    Jacques Marlaud y annonce des temps tragiques. Il observe en effet « d’une part une croissance de l’anarchie à l’échelle mondiale, la dissolution des ensembles bio-ethniques relativement stables que sont les cultures, la montée démographique et économique des peuples du Tiers Monde et l’implosion de la culture européenne, bref, la fin du monde tel que nous le connaissons, et, d’autre part la grande fatigue simplificatrice, l’œcuménisme totalitaire qui souhaite policer la planète au nom de valeurs qui ne peuvent être que le plus petit commun dénominateur. C’est au point de rencontre de ces deux courants, l’un homogénéisant et l’autre hétérogénéisant que se situe le néo-paganisme. [… Le paganisme] se présente comme une alternative originale et riche en potentiel d’orientation. Il ne s’agit pas, en se disant “ païen “, d’opter pour une évasion dans un autre sectarisme idéologique, mais d’accepter la multiplicité conflictuelle des types, des formes et des signes qui constituent le monde; d’y assumer les choix devant lesquels notre destin (c’est-à-dire notre identité-en-devenir) nous a placés. Le paganisme au sens nietzschéen est le plus puissant garant de la liberté car sa métaphysique, qui n’est pas dualiste, affirme l’innocence de tous les êtres (et de leur “ devenir “), tout en reconnaissant le caractère inévitable des contrôles normatifs au sein des collectivités humaines. Nous avons là une pensée complexe qui rend les peuples responsables de leurs normes face au tourbillon centrifuge qui les disperse et les divise mais, en même temps, les éprouve et leur offre la possibilité de se reconstruire une identité historique (3) ».

    Le paganisme constitue par conséquent la pierre angulaire de ses réflexions. Non seulement il le pense, mais il le vit de façon communautaire, d’abord et surtout en famille. Une bougie brûle toujours sur une tour de Jul au moment des repas solennels. Dans les années 1990 – 2000, il organise le samedi le plus proche du solstice d’été des festivités (jeux, ripailles abondantes, allumage du bûcher, danses traditionnelles, etc.) dans sa propriété des coteaux du Roannais. S’y rencontrent pour l’occasion les responsables lyonnais des Jeunesses identitaires et Robert Dun venu en (assez lointain) voisin (4).

    Dans la réédition en 2010 du Renouveau païen dans la pensée française, Jacques Marlaud prévient les jeunes lecteurs de l’engouement pour les récits fantastiques de J.R.R. Tolkien. Il devine nettement une intention anglo-catholique manichéenne qui contredit le vrai esprit européen. « L’Heroic Fantasy qui, depuis la percée des œuvres de J.R.R. Tolkien, a renouvelé le genre romanesque, envahi les écrans, la bande dessinée et les jeux video, illustre cette tendance. Tolkien, comme nombre de ses émules anglo-saxonnes, manipule brillamment les plus vieux mythes et symboles indo-européens (anneau, Ouroboros, épée de souveraineté, coupe sacrée, guerres de fondation…). Sa Terre du Milieu s’inspire de la mythologie germanique sans que cela l’empêche de diriger la trame de son récit vers une lutte épique entre aspirants au Bien et créatures du mal, ivres de pouvoir afin d’assouvir leurs instincts cruels. Le schéma est clairement christianomorphe, même lorsqu’il n’est pas explicitement reconnu comme tel en se déployant à l’intérieur d’un corpus symbolique étranger au christianisme (5). » Qu’aurait donc pensé l’ancien correspondant en Afrique du Sud de la revue Nouvelle École de son numéro 70 de 2020 abordant de manière assez élogieuse de l’œuvre du philologue anglais natif de Bloemfontein en Afrique du Sud (6) ?

     

    Infiltré à l’université

     

    Au milieu des années 1980, remarquant les premiers signaux annonciateurs de la fin de la RSA, Jacques Marlaud et les siens rentrent en France où va naître un huitième enfant, une fille. La famille s’implante d’abord près des Monts d’Or dans la banlieue cossue occidentale de Lyon. Jacques Marlaud doit nourrir son clan qui, à l’initiative d’Ursula, abandonne l’allemand et se met en permanence au français sans toutefois empêcher les enfants de regarder plus tard via le câble les programmes de la télévision allemande.

    Au lendemain de Mai 1968, l’université de Lyon se fracture en trois universités plus ou moins politisées. En 1973 est fondée l’université Lyon III – Jean-Moulin en opposition frontale à l’université Lyon II – Lumière qui acquiert très tôt une réputation non usurpée d’antre gauchiste (et aujourd’hui wokiste). Enseignent bientôt dans ses facultés des « mal pensants » selon les canons du dogme cosmopolite tels Bruno Gollnisch, Jean Varenne, Jean Haudry, Pierre Vial, Bernard Lugan ou Bernard Notin. Professeur agrégé d’italien de confession chrétienne orthodoxe, Jacques Goudet (1927 – 2016) ne cache pas son engagement gaulliste. Il dirige longtemps l’antenne lyonnaise du SAC (Service d’action civique), le service d’ordre et la police parallèle du gaullisme, et coordonne l’UNI (Union nationale interuniversitaire), le syndicat étudiant de droite anti-communiste. Dans le mur de son bureau se trouve bien évidence une immense affiche de… Benito Mussolini. Jacques Goudet voyait-il peut-être dans le gaullisme la version française du fascisme italien ? Président de Lyon III de 1979 à 1987, il recrute des enseignants compétents et réfractaires aux oukases de la gauche. Il imagine une formation en sciences de l’information et de la communication. Jacques Marlaud postule à ce poste alors que son doctorat sud-africain n’est pas reconnu en France. Il fait valoir auprès de la commission interne qui instruit les candidatures sa longue expérience journalistique. Il bénéficie aussi de la présence dans cette instance de membres adhérents ou proches du GRECE qui votent en sa faveur. Jusqu’à sa retraite et malgré les purges idéologiques fomentées par une gauche de plus en plus arrogante, il restera maître de conférence, dirigera aussi les licences et maîtrises en journalisme et élargira son enseignement aux questions géopolitiques au grand dam de ses collègues géographes...

    De 1987 à 1991, il préside le GRECE et relance sa publication théorique Études et Recherches. Toutefois, la revue Krisis fondée en 1988, concurrence vite ce périodique qui disparaît peu après. Vers 2000, Jacques Marlaud tente de le relancer comme directeur de publication avec l’aide de Pierre Le Vigan et de Charles Champetier, les co-rédacteurs en chef désignés. Faute de moyens financiers et de volonté soutenue, le projet s’arrête net. En 1990, au cours de l’affaire Notin du nom de ce professeur d’économie victime d’une honteuse cabale de la part des habituelles ligues de petite vertu, suite à une interprétation tendancieuse, fielleuse et plus que douteuse d’une note infrapaginale, Jacques Marlaud soutient pleinement Bernard Notin. Derrière l’anonymat du Cercle Frédéric II de Hohenstaufen, il défend – hélas sans grand succès ! - la réputation et l’honneur d’un honnête homme sali par une meute abjecte de voyoucrates. Emmanuel Ratier trouvera pour l’universitaire diffamé, ostracisé et menacé physiquement un poste universitaire en Amérique latine. Aujourd’hui, Bernard Notin collabore à la revue néo-droitiste chilienne La Ciudad de Los Cesares d’Erwin Robertson.

     

    Priorité au combat culturel

     

    Jacques Marlaud collabore à Éléments, à Nouvelle École, à Roquefavour et à Nationalisme et République. En 2000, sous le pseudonyme d’Yves Argoaz, il lance L’Esprit européen (7). Cette revue semestrielle ne publie que treize numéros et s’arrête en 2005 malgré des entretiens de Maurice Allais, premier Français prix Nobel d’économie, du dissident post-soviétique Alexandre Zinoviev, du prince impérial Charles Napoléon Bonaparte, du royaliste maurrassien Pierre Pujo, du néo-corporatiste catholique Benjamin Guillemaind, du régionaliste normand Didier Patte, de l’écologiste indépendant Antoine Waechter ou du philosophe terrien Pierre Rabhi. En parallèle, il fonde et dirige le CREM (Cercle de recherches et d’études métapolitiques).

    Quadrilingue (allemand, anglais, espagnol et français), marié à une Allemande, Jacques Marlaud se pense d’abord en Européen de France. Il privilégie l’approche métapolitique aux dépens de l’action politique immédiate et de sa déclinaison électoraliste, d’où de vives disputes avec son collègue universitaire à Lyon III Pierre Vial, engagé dès 1985 au Front national de Jean-Marie Le Pen. Malgré un paganisme solsticial partagé, il n’a jamais caché ses divergences avec le président – fondateur de Terre et Peuple. Jacques Marlaud se défie des manœuvres entristes dans les formations de droite. À ses yeux, « le recentrage de la ND en école de pensée dissidente, sans objectifs politiques à court terme, a été une bonne décision, la seule qui ait permis à la ND de résister à l’usure du temps, de demeurer une école de pensée crédible au milieu des ruines idéologiques contemporaines (8) ». Qu’aurait-il pensé de l’appel d’offre implicite au Rassemblement national commis par François Bousquet dans un récent article écrit pour Figaro Vox (9) ?

    Dans un droit de réponse à Jean Daniel, il met en exergue cinq points cruciaux qui structurent sa vision du monde bien au-delà des tambouilles politiciennes. « Pour l'heure, les divergences entre l'extrême droite et la “ Nouvelle Droite “ paraissent insurmontables, écrit-il donc. 1. Le FN est imprégné de messianisme catholique incompatible avec notre conception païenne. 2. La doctrine identitaire du FN se résume à un nationalisme étroit, “ franchouillard “, alors que nous sommes Européens... avant d'être Français. 3. Le FN s'oppose aux mosquées, aux tchadors [...]. Nous sommes pour le droit imprescriptible des peuples à rester eux-mêmes; sur notre sol ou ailleurs. 4. L'humeur sécuritaire et identitaire à fleur de peau des frontistes cache leur absence de projet de société et de comportement en rupture avec la société marchande, que nous avons toujours dénoncée comme “ système à tuer les peuples “. 5. Le caporalisme en vigueur dans ce parti est inconciliable avec notre conception libertaire et aristocratique [...] de l'excellence (10). » Il lie volontiers son paganisme à un prolongement identitaire – communautaire européen et écologique. Dans un texte paru dans Le Monde du 27 février 1990, il estime déjà que « les politiciens n’ont pas compris, semble-t-il, que les enjeux de l’avenir sont désormais qualitatifs. Le mirage d’un pouvoir d’achat en expansion indéfinie a cessé d’exercer son emprise sur l’imagination populaire, grevé qu’il est par le chômage, l’insécurité, la détérioration des conditions de vie, de travail et de transports, les méfaits de l’individualisme sauvage, la perte de sens culturel et religieux. Les batailles politiques à venir, à l’Est comme à l’Ouest – et surtout à l’Ouest depuis que l’Est n’existe plus comme entité séparée – pivoteront autour de deux grands thèmes : l’identité et l’environnement (11) ».

    L’attaque terroriste du 11 septembre 2001 sur « la Grosse Pomme » et le Pentagone l’entraîne à rédiger en quelques semaines Comprendre le bombardement de New York. Il réagit au déferlement d’émotions sur-médiatisées qui excluent, ignorent et détournent toutes réflexions objectives appropriées. Il s’indigne dans cet opuscule d’une mise en scène médiatique déjà appliquée au moment de la guerre du Golfe en 1990 – 1991 et de l’agression occidentale – atlantiste contre la Serbie en 1999. Il aurait pu y retrouver la même trame narrative à l’occasion de l’attaque russe sur l’Ukraine en 2022. Pour Jacques Marlaud, « il s’agit d’abord de plonger au cœur de notre monde, d’en assumer toutes les dimensions et les antagonismes sans nous laisser enfermer dans un piège idéologique (ou idéel), de le penser et de nous penser en lui, comme acteurs, jusqu’à ses limites ultimes, sa chute (12) ».

    Jacques Marlaud cerne plus loin que « tout semble indiquer que le terrorisme, comme forme de guerre non-conventionnelle est entré définitivement dans les mœurs des sociétés modernes. Les peuples le savent. Il n’en est pas un qui n’ait, à un moment donné, approuvé ou considéré avec sympathie certains de ses usagers en l’anoblissant avec les qualificatifs prestigieux de “ résistants “, “ guérilleros “, “ combattants de la liberté “… (13) ». S’il avait vécu plus longtemps, il aurait même assisté à la panthéonisation d’un couple de terroristes communistes adeptes de la guerre civile totale. Il craignait surtout l’avènement désormais effectif d’« une politique qui criminalise le terrorisme dans l’absolu, sans chercher à supprimer ses causes, est une hypocrisie condamnée à l’inefficacité. De surcroît, elle représente un grave danger pour la véritable démocratie en légitimant les mesures policières et sécuritaires les plus sévères, en faisant régner partout la suspicion, en portant atteinte de manière insidieuse aux libertés fondamentales, aux droits des minorités comme à celui de la majorité des honnêtes gens, en renforçant un contrôle étatique déjà tentaculaire et oppressant (14) ». L’épisode covidien, les discriminations vaccinales, l’usage du QR-code à travers la multiplication vertigineuse des pass (sanitaire, JO, bientôt carbone) confirment cette préoccupation visionnaire.

     

    Penseur enraciné des aristocraties populaires

     

    Le maintien des identités charnelles, des communautés enracinées, des nationalités historiques, voire des « populacités » ancestrales, renforce le concept de paganisme comme vue-du-monde déterminante. Jacques Marlaud considère que « les dieux et les déesses fondent et justifient une multiplicité de types d’homme et de femme différents, une multiplicité d’instincts, de caractères, d’élans psychiques tout aussi légitimes les uns que les autres, vers lesquels on peut se tourner tour à tour selon sa constitution ou son humeur… (15) ». Dans cette vision intégrale s’impose non pas le Logos organisateur mais le Polemos qui « promet un surhumanisme différencialiste qui recrée sans cesse des “ ordres de rang “. Il définit les bio-cultures comme les racines constitutives d’identités, perpétuellement contestées (décadence) et sans cesse réaffirmées par un auto-dépassement créateur de valeurs, de schémas explicatifs, de mythes (16) ». Mieux, dans l’avant-propos commis en 2010 pour la réédition de sa thèse, Jacques Marlaud tonne contre les travers d’un milieu fort paresseux. « Puisque la question de l’identité, à l’époque de la “ mondialisation heureuse “ où toute les identités sont niées, reniées, métissées de gré ou de force, se pose en même temps que celle du sens de la vie, du souci de l’être, la recherche païenne se propose d’y répondre en affirmant les droits et les bienfaits des enracinements ethniques, des traditions locales et régionales sans toutefois céder à l’identitarisme mesquin, au racisme et au nationalisme paranoïdes, propres aux sociétés recomposées, qui ne s’affirment qu’en dénigrant et en rejetant l’autre, tous les autres. Elle indique une voie vers la patrie essentielle des Européens, celle d’une immémoriale tradition qui, en redécouvrant ses propres racines, ne peut que reconnaître et encourager la bio-diversité humaine, la multiplicité des racines et des traditions, au contraire d’une modernité qui prétend les éliminer – en vain d’ailleurs, si l’on observe l’évolution actuelle qui montre une montée en puissance des communautarismes proportionnelle aux avancées de la mondialisation (17). »

    Cette opinion dévastatrice pour le politiquement correct postule en outre l’acceptation du tragique dans l’histoire. Le supplanter par le drame expliquerait en partie le déclin de l’« européanité ». Avant de cibler un quelconque ennemi extérieur, Jacques Marlaud vise d’abord la mentalité européen moderne. Les Européens sont les premiers responsables du phénomène notable de déclin ambiant. Il veut au contraire « oser penser l’Empire (18) » considéré comme le cinquième niveau d’une structure organique irradiée par le principe de subsidiarité (famille, communes, régions ou provinces, nations). L’Imperium parvient « à intégrer (plutôt qu’à dissoudre) l’échelon civique ou politique au sein d’un ensemble plus vaste qui lui redonne son sens en le reliant à ses racines infrapolitiques organiques et à sa cime métapolitique (mythique et cosmique) (19) ».

    Pour lui, l’Europe, mieux l’idée impériale européenne reposant sur l’héritage préhistorique et antique, permettra la renaissance de ses peuples boréens. Cette Europe nouvelle parce que plus ancienne, archaïque (20), se concertera avec les peuples des autres continents contre les menées du mondialisme, du wokisme et de l’occidentalisme. Aux intentions d’union géopolitique planétaire des peuples blancs, Jacques Marlaud avertit que « prêcher ou prédire le retranchement des Européens dans un bunker Nord face aux peuples du Sud, c’est aussi opter pour l’idéologie libérale anglo-saxonne qui voit dans cette Saint-Alliance des riches un nouveau moyen de mater la révolte des pauvres afin de maintenir tel quel le système d’exploitation international dont les principaux bénéficiaires ne sont pas les peuples du Nord, mais les oligarchies financières multinationales. La carotte du développement n’étant plus appréciée, celles-ci empoignent à présent le bâton de la sécurité internationale trempé dans le vernis des droits de l’homme (21) ». Maints identitaires de France, de Grande-Bretagne, d’Espagne ou d’Italie devraient le lire avec soin et méditer son point de vue qui récuse tout panoccidentalisme post-moderniste et autre nationalisme blanc ridicule.

    Veuf d’Ursula décédée des suites d’une longue maladie, Jacques Marlaud épouse en seconde noce une Russe qui décède vers 2017 – 2018. Ses héritiers vendent la propriété familiale – le Roc du Bourru (nommé bien avant son acquisition par Jacques Marlaud qui correspond cependant fort bien à son caractère entier et parfois brusque) – et se dispersent en France et en Allemagne. Un mois avant de disparaître, Jacques Marlaud eut néanmoins la joie d’assister au mariage de sa plus jeune fille.

    En dépit d’un bureau – bibliothèque aux étagères surchargées et en grand désordre avec, par terre, des piles monstrueuses de livres, de journaux et de brochures, Jacques Marlaud défendait au sein de la « Nouvelle Droite » une ligne claire, convaincante et intransigeante. Une décennie après sa mort, ne serait-il pas temps que l’Institut Iliade dans ses journées de formation le commente et l’explique avec la plus grande attention ?

     

    Notes

     

    1 : Michel Marmin, « Le paganisme dans la littérature », dans Éléments, n° 59, été 1986, pp. 23 à 25.

     

    2 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen dans la pensée française, préface de Jean Cau, L'Æncre, 2010, avant-propos de l’auteur à la deuxième édition, p. 8.

     

    3 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen dans la pensée française, préface de Jean Cau, Le Labyrinthe, 1986, p. 49, souligné par l’auteur.

     

    4 : Robert Dun vit près du Puy-en-Velay en Haute-Loire, soit à 160 km à vol d’oiseau, d’où un trajet aller – retour de 320 km pour ce nonagénaire féru de vitesse automobile.

     

    5 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen..., 2010, op. cit., p. 9.

     

    6 : Par son réalisme cru et son refus d’une approche binaire, Jacques Marlaud aurait peut-être apprécié Le Trône de Fer de George R.R. Martin, pourtant homme de gauche.

     

    7 : Revue à laquelle a directement principé l’auteur de ces lignes.

     

    8 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen..., 2010, op. cit., p. 15.

     

    9 : François Bousquet, « Pourquoi le Rassemblement national ne livre-t-il pas la bataille culturelle ? », mis en ligne sur Figaro Vox, le 31 juillet 2024.

     

    10 : dans Le Nouvel Observateur du 17 mai 1990.

     

    11 : Jacques Marlaud, « Libérons l’Europe de l’Ouest ! », repris dans Interpellations. Questionnements métapolitiques, préface d’Anne Brassié, Dualpha, 2004, p. 59.

     

    12 : Jacques Marlaud, Comprendre le bombardement de New York, Éditions du Cosmogone, 2001, pp. 39 - 40.

     

    13 : Idem, p. 56.

     

    14 : Id. , p. 61.

     

    15 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen..., 1986, op. cit., p. 27.

     

    16 : Idem, pp. 27 – 28.

     

    17 : Jacques Marlaud, Le renouveau païen..., 2010, op. cit., p. 17.

     

    18 : Jacques Marlaud, Interpellations, op. cit., p. 171.

     

    19 : Idem, p. 172.

     

    20 : Dans un entretien avec l’essayiste gaulliste conservateur Paul-Marie Couteaux diffusé sur TVLibertés, le 14 juillet 2024, François Bousquet pense que l’Europe naît au Moyen Âge. L’actuel rédacteur en chef d’Éléments écarte ainsi plus d’un demi-siècle de travaux sur le sujet par son propre courant de pensée… Au-delà de l’histoire, il y a toujours la sacralité et l’anthropologie.

     

    21 : Jacques Marlaud, Interpellations, op. cit., pp. 64 - 65.