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  • Masques et visage du système

    La représentation de la réalité est trompeuse. Comment l'interpréter. Cet écrit, qui n'est ni un article ni même un document politique, prend pour l'occasion une orientation particulière et nous invite à réfléchir dans une direction précise.

    par Gabriele Adinolfi

    masque.jpgInterrogeons-nous : y a-t-il quelque chose de vrai dans le récit Occident-Anti Occident, Israël-Hamas, et ainsi de suite ?

    Il y a quelque chose, mais c'est plus non que de oui. La représentation du réel a toujours été un arrangement au niveau de la concentration et de la connaissance des masses : à cet égard, aujourd'hui, il n'y a rien d'exceptionnel, sauf pour sa complexité particulière et l'absence ultérieure d'idées mobilisatrices de masse, des raisons, celles-ci, qui rendent le récit encore plus abstrait et ridicule. Il convient de noter que nous avons des précédents qui auraient dû nous mettre en garde contre la crédulité : pensons à la "Guerre froide", dont on parle, il faut le dire, comme si c'était quelque chose d'absolu plus aujourd'hui qu'à l'époque, lorsque s'était développé un sain scepticisme à ce sujet.

    Était-ce ainsi aussi par le passé ?

    Pour vivre en paix et à la demande des utilisateurs eux-mêmes, le récit, qu'il soit politique ou religieux, a toujours été assez grossier, ouvrant – dans les cas remarquables de l'histoire – la porte à d'autres niveaux de conscience, par le biais d'analogies ou de références symboliques (c'est à dire capables de fournir des clés pour plusieurs niveaux). Si ce n'était pas que ce concept équivoque d'amblé, nous faisant penser à des maladies mentales ou à des gnosticismes, nous pourrions dire qu'en dehors de la dimension animale, il n'y a pas de possibilité de percevoir le réel qui ne soit ésotérique. On n'entend pas nécessairement par là un ésotérisme mystique, on peut se référer simplement à la capacité pure et simple de dépasser les schémas pour saisir des structures, des psychologies et des forces qui ne sont pas sous les projecteurs. Dans ce sens, on peut définir, par exemple, toute l'analyse marxiste comme ésotérique. Et elle ne fut pas la seule.


    Aujourd'hui, tout est raconté comme un conflit continu entre opposés. Pourquoi est-ce un schéma fallacieux ?

    La représentation du réel s'exprime en des simulacres continus de conflits entre deux opposés, que ce soit en matière de sexe, d'immigration, de religion, de "géopolitique" ou même des facéties de l'(anti)fa. Eric Werner nous a averti il y a un quart de siècle de la perpétuation de cette tromperie visant à injecter dans les individus d'une société atomisée l'excitation de masse, et comment tout cela stabiliserait des oligarchies désormais détachées de la base sociale en raison de la désarticulation des corps intermédiaires. Il est donc normal que les naïfs puissent croire qu'il existe un Occident en crise combattu serieusement par un prétendu Anti Occident, ou qu'il n'y ait pas de corrélation entre Tel Aviv et le Hamas, ou encore que l'identité russe soit en jeu en Ukraine, ou que dans le Sahel les choses bougent pour un anti impérialisme ressuscité, ou encore qu'aujourd'hui à Gaza on se batte pour la Palestine. Tout cela est vrai en partie seulement, car certains de ceux qui combattent et meurent sont SUBJECTIVEMENT convaincus que c'est la raison, mais les choses vont bien différemment.

    Pourtant, en attribuant des valeurs différentes, tant le mainstream que les oppositions convergent dans ce schématisme. Est-ce normal ?

    Celui qui prétend s'éloigner de la politique dominante devrait d'abord refuser la version des faits qui lui est imposée. Refuser ne signifie pas l'inverser : être toujours du côté du "mauvais" contre le "bon" dans une simple escarmouche virtuelle n'est pas différent d'être du côté du "bon" contre le "mauvais", car cela avalise la narration, ce qui fait de nous des serviteurs (même "renversés") du maître. En fait, pour que cette narration continue, les partisans de Poutine, les homophobes et les hamasistes sont indispensables, car ce sont les piliers les plus efficaces des États-Unis, de la communauté LGBT et de Tel Aviv. Si l'on veut s'émanciper des Américains, défendre la cause palestinienne, ou de n'importe quelle nation, ou introduire une nouvelle éthique sociale qui serve de norme, ce n'est pas du tout de cette manière qu'il faut procéder. Nous devons affronter la réalité, à la fois conceptuellement et activement, en prenant conscience de sa complexité. Nous devons donc être capables de tracer le carré du cercle qui nous permet de ne pas laisser notre âme et notre esprit se corroder, comme cela se produit quotidiennement et d'arrêter d'être les ruines parmi ceux qui se tiennent debout, car c'est ainsi que notre version vécue d'Evola est devenue dans ce Kali Yuga selon Mel Brooks.

    Comment devrions-nous alors interpréter la réalité?

    Je ne veux pas transformer cet exposé en un document politique, donc je présenterai ma vision de manière télégraphique. Nous sommes en présence d'une réalité divisée au moins en trois plans qui doivent être abordés séparément mais simultanément. J'essaie de les esquisser rapidement.

    Le monde unipolaire, bipolaire, multipolaire : ce sont toutes des définitions erronées. La transcendance capitaliste n'est pas occidentale : elle est mondiale et unie bien qu'elle soit divisée. Et même en ce qui concerne la "supercaste" dont on parle tant, mais que l'on oublie toujours d'analyser, les choses sont beaucoup plus complexes que ce que l'on pourrait imaginer. Est-ce une définition satisfaisante ?

    Comme le soutiennent les Américains depuis maintenant trente ans, la question des prétendus pôles est secondaire car nous vivons dans un monde "interconnecté". Il suffit de jeter un œil aux investissements, aux échanges commerciaux et aux armements dans les BRICS pour se rendre compte à quel point il est absurde de penser le contraire. Il suffit de soulever le voile d'un millimètre pour découvrir les liens entre la Russie, Israël et l'Arabie saoudite et leurs connexions avec les États-Unis, l'Inde et la Chine. Et ainsi de suite, car l'écheveau capitaliste est dense et inextricable. Ce qui - il faut le souligner - ne signifie pas qu'il n'y a pas de luttes intestines, partiellement liées aux nationalités, mais le plus souvent transversales, qu'il ne faut absolument pas ignorer.
    On peut également regarder le tout avec un cynisme supplémentaire et se rendre compte que la guerre en Ukraine a été remportée, avec la reconstruction, par le groupe Black Rock, ou que l'avancée écrasante de la Turquie sur la scène mondiale, accompagnée d'une inflation terrifiante, est sur le point de se traduire par la cession de nombreux actifs stratégiques à JP Morgan. Nous découvrirons bientôt qui aura remporté à Gaza : cela nous sera indiqué par les dividendes des entreprises locales du gaz.
    Nous connaissons tous le refrain des quelques familles qui détiennent la richesse mondiale. Ce sont des faits dont il faut tenir compte, sans pour autant tomber dans le fatalisme résigné, "il n'y a plus rien à faire", avec l'abandon des canons les plus normaux de la vie, et avec le sentiment de "la fin de l'histoire", ce qui n'est pas vrai. Mais rien ne changera avec des slogans électoraux ou des victoires populistes éphémères, car il faut de nouvelles relations de forces et des dynamiques correctement comprises et interprétées pour pouvoir changer les systèmes. C'est vers cela qu'il faut regarder sans feindre que les choses ne sont pas comme elles sont, tout en évitant de se laisser emporter par le découragement, ce qui est en fait idiot.

    Dans ce contexte, quelle est la pertinence de l'Europe? Pourquoi devrait-on la défendre ou, comme le soutiennent les souverainistes, la démanteler ou la faire éclater?

    Les logiques géostratégiques et géoéconomiques qui animent les acteurs persistent. Les différends pour les sources d'énergie et pour le marché se reflètent à l'échelle continentale et nationale. Nous assistons à une lutte continue, même si elle se situe à un niveau en dessous de l'enchevêtrement capitaliste supranational, qui influence tout de même indirectement. Ces conflits entre les acteurs répondent à des logiques historiques, mises à jour et adaptées à l'actualité.
    Dans tout cela, l'Europe est un champ de bataille, objet d'une guerre continue de la part des vainqueurs de 1945 qui convergent toujours, craignant notre puissance, enviant notre supériorité éthique et civilisationnelle. Au moins les Russes et les Américains, car les Anglais sont trop dominants de tradition pour partager ces complexes misérables que les autres n'essayent même plus de cacher. Il va de soi que du point de vue du capitalisme financier, peu importe qui l'emporte et qui capitule, car tous répondent (et plus que tous ceux qui critiquent l'Occident) au même système d'exploitation. Mais il y a des effets secondaires importants, allant des conditions économiques et de puissance d'une région géographique à la façon dont la culture transmise se reflète dans les expressions capitalistes.
    Ce qui est appelé "ordolibéralisme", par exemple, repose sur la conception rhénane qui est l'héritière indigne des conceptions impériale, cléricale et fasciste du capital et du travail. Il en découle que parmi tous ses concurrents, c'est largement le moins pire. Mais ce n'est pas tant le moins pire qui doit nous orienter que la potentialité accordée à une région, à un peuple, à un conteneur de civilisation, pour une régénération possible. C'est là que l'europhobie intervient comme une véritable trahison.
    Il est insensé, pour quiconque aime sa patrie et a une volonté de liberté et de puissance, de s'élever, même émotionnellement, contre toute croissance de l'Europe, quelle qu'elle soit, et encore plus de se ranger du côté des prédateurs du moment, qu'ils s'appellent Trump ou Poutine, qui s'agitent contre notre passé et notre avenir au nom de la puissance de leurs cultures mesquines de pacotille. C'est exactement l'opposé de ce qu'il faut faire.

    Pourtant, l'UE ne fait pas grand-chose pour se faire aimer, parfois elle donne l'impression d'être un véritable monstre.

    C'est vrai. Paradoxalement, certains de ses aspects les plus inquiétants que j'ai énumérés dans mon ouvrage "Le Mythe de l'Europe", de 2018, récemment republié par Passaggio al Bosco, n'ont jamais été compris. Cependant, ceux qui crient tant contre elle (et contre l'euro !) ne savent presque jamais de quoi ils parlent. Ils ne connaissent pas le processus historique de l'UE (qui a techniquement débuté à la fin des années 1940, piloté par l'Italie et l'Allemagne), ignorent les conceptions d'un monde entier, et surtout de Mussolini dès 1921, avec le renouveau du néofascisme européen dans son ensemble de 1948 à 1989. Ensuite, ils ne connaissent pas les mécanismes de fonctionnement de l'UE ; ils n'approfondissent pas les batailles internes et externes qui s'y déroulent et qui ont provoqué des réactions violentes russo-américaines ; ils ne connaissent même pas le fonctionnement de la BCE. Ils se limitent à une vision caricaturale d'un prétendu monstre tombé du ciel, à qui ils attribuent tous les défauts, oubliant de les mettre en perspective, tant avec ceux des autres qu'avec ceux des membres individuels internes. S'ils le faisaient, ils seraient obligés de changer d'avis, mais je ne pense pas qu'il y ait la volonté de prendre une position qui incite à agir plutôt qu'à jacasser. Et c'est là que le bât blesse.

    Devons-nous donc être européistes à tout prix?

    S'engager pour l'Europe - et jamais contre elle - est fondamental, indispensable, mais pas suffisant. Car il existe alors l'âme et les formes d'une société qui, peu importe de laquelle on parle, est aujourd'hui imprégnée du même esprit et des mêmes valeurs, cyniques, matérialistes et corrosives. Les "oppositions" populistes dans ce contexte historique ont montré à quel point elles sont sordides et imprégnées de tous les canons du mercantilisme. Toutes les "batailles" pour la monnaie et la détaxation sont purement capitalistes et petit-marchandes, avec l'aggravation de se fonder, dans toutes leurs propositions, sur la grossièreté, l'improvisation, l'ignorance, l'analphabétisme économique, exprimés avec l'arrogance sarcastique des moins nantis. Il s'agirait plutôt, oserais-je dire qu'il s'agira, de reconstruire les relations organiques dans le social, de régénérer le sens de la communauté du destin, de repartir du privé édifié en commun pour resocialiser, d'imposer des tournants originaux et inédits, façonnés sur la logique corporative, avec la fierté nationale et régionale sublimée dans une appartenance supérieure, impériale, fondée sur des conceptions existentielles, sociales et esthétiques communes aux Européens et à eux seuls. Régénération et Reconquête, qui doivent aller de pair avec l'acquisition de la Puissance Europe. À ce sujet, dont j'ai largement parlé dans le livre cité précédemment, j'ai consacré ma publication la plus récente, "Le défis au futur", éditée par Synthèse nationale, dans laquelle j'explique les mentalités, les méthodes et les stratégies, ainsi que la fonction des Lansquenets d'Europe, avec ce qu'ils ont produit jusqu'à présent et ce qu'ils entendent contribuer à susciter.

    On prétend que l'UE est une appendice américaine, une création des Américains, intégrée à l'OTAN et que, pour ces raisons, elle serait notre ennemie.

    Je connais ce cliché qui est l'un des plus infondés qui soit. Bien sûr, l'UE a une relation d'infériorité objective envers les Américains, en raison des rapports de force, mais cela ne s'applique pas seulement à l'UE ; tous les pays du monde sont influencés par les États-Unis, même ceux qui crient autant dans leur antiaméricanisme façonné pour la propagande "prolétarienne" destinée à leurs masses. Non seulement la Russie est depuis toujours un pilier du système mondial sous hégémonie américaine, mais même l'Iran (rappelez-vous l'Irangate ?). Si l'on examine ensuite les relations commerciales, industrielles et militaires sans aucun préjugé préalable, on découvre ce que les Américains ont découvert depuis longtemps et dénoncent constamment. Les seuls acteurs qui remettent légèrement en question la domination américaine sont la Chine et l'UE. Il suffirait de suivre ce que disent les joueurs directement concernées, les Américains et les Chinois en premier lieu, pour sourire devant cette simplification grossière qui présente l'UE comme une appendice américaine. Logiquement, le "parti américain" au sein de l'UE (comme en Chine, en Inde et en Russie d'ailleurs) est fort, mais il existe des courants qui œuvrent pour notre émancipation et pour une vision internationale plus qu'intéressante. Remarquez ensuite que presque toutes les forces "souverainistes" en Europe font partie intégrante et active du parti américain. Par conséquent, leur thèse ne tient même pas une seconde.


    Cependant, si nous nous libérons des bases de l'OTAN et de l'hégémonie américaine, pourrons-nous être libres ?

    Si nous devenons libres, nous nous libérerons des bases de l'OTAN et de l'hégémonie américaine : c'est exactement l'inverse, et ce n'est pas un détail. Le développement des "doctrines" sur les relations entre l'UE et l'OTAN a évolué dans cette direction. Plutôt Filippo Anfuso que Charles De Gaulle. Macron a même proposé la sortie de l'OTAN, ce que Poutine a rendu impossible et, pour moi, ce n'est pas un hasard. Mais la Doctrine Schaüble en Allemagne s'oriente de manière réaliste vers le rééquilibrage des relations entre les deux rives de l'océan, revendiquant l'autonomie européenne face au Pacifique. Si, au lieu de répéter des slogans, les gens suivaient les événements, ils ne diraient pas des bêtises de café. Le problème est que, lorsque l'on raisonne selon ces critères, ce n'est pas pour faire quelque chose mais pour justifier son isolement de la réalité dans lequel on se complaît parce qu'on n'a aucune volonté de puissance. Ce n'est pas un hasard si des critères inacceptables pour un Indo-Européen, un Gréco-Romain, un fasciste, tels que celui du Mal absolu, ont été adoptés, érigeant une opposition contre laquelle on serait vertueux. Rien n'est plus délirant. C'est de là que part l'antieuropéisme en tant qu'antiaméricanisme (USA = Mal absolu). C'est paradoxal car, comme je l'ai déjà exposé, les deux termes sont plutôt antithétiques, mais au-delà de cela, c'est une déclaration d'impuissance et d'inertie. Dans certains cas, c'est une sorte de régression sénile car certaines personnes qui aujourd'hui m'accusent d'avoir rejoint l'OTAN parce que je soutiens la lutte du peuple ukrainien, ce qui est bien sûr une exagération, m'accusaient il y a de nombreuses années d'être communiste parce que je disais que l'Europe devait avoir une armée propre en dehors de l'Alliance atlantique. Ils ont changé, pas moi : ou plutôt, nous sommes restés tous là où nous étions à l'époque parce que, concrètement, ce rôle d'Anti-OTAN en tant que pigeon voyageur est un liant nécessaire du statu quo et, par conséquent, est très apprécié par les Américains. Je souris aussi quand je vois qu'à la tête de cet "antiaméricanisme" se trouve un ancien maire de Rome (Gianni Alemanno) qui a fait défiler les jeeps yankees qui avaient "libéré" la capitale et qui a soutenu que le bombardement américain de San Lorenzo était de la faute de la guerre fasciste.

    Essayons de récapituler et de faire le point. La narration trompeuse existe parce qu'il y a trois plans de réalité. L'un est celui du capitalisme oligarchique transnational qui se moque des conflits mais les instrumentalise ; un deuxième plan est celui des acteurs dans lequel l'Europe devrait, de toute façon, être soutenue ; un troisième est celui des conceptions politiques et sociales sur lesquelles une régénération révolutionnaire doit intervenir ?

    Certainement. Tout doit avancer ensemble : la conscience de la réalité au-delà de la tromperie, le nationalisme européen, l'action régénératrice sous tous les aspects. Bien que ce soient des actions différentes et en quelque sorte séparées, il est fondamental qu'elles dictent ensemble chaque ligne de conduite.
    Ces trois plans doivent être connus et sur tous ceux-ci, il faut agir avec la boussole et la centralité.
    Cependant, il n'y a pas de plans sans fondations, et c'est là que l'on doit commencer, car si on évite de le faire, on n'est qu'un atome comme un autre, une hypothèse subjective, un néant présomptueux qui opine et suppose d'être quelqu'un ou de représenter quelque chose parce qu'il s'accroche à quelques slogans ou croit se reconnecter à une source uniquement par le biais d'un tatouage, sur la peau ou dans le cerveau.
    Verticalité et appartenance, ordre mental et perception de la beauté, créativité selon les canons ; c'est à partir de ces éléments que l'on intervient sur le Chaos et que l'on régénère le monde aujourd'hui prisonnier de l'hypnose et de la névrose, de l'automutilation et de l'attraction du laid et du grotesque.
    C'est le Cosmos qui met de l'ordre dans le Chaos, qui mythologiquement, il faut le noter, est organisé et l'est aussi dans la pratique. Savoir reconnaître le Chaos non pour y réagir avec des hypothèses freinantes, qui ne servent qu'à lui fournir de l'équilibre, mais avec une radicalité totalement différente, c'est ce qui doit être fait.

    Certains soutiennent que tout ce avec quoi nous avons affaire est le fruit d'un complot maléfique, voire satanique. Y a-t-il quelque chose de correct dans cette mentalité ou doit-elle être totalement rejetée ?

    Ici aussi, la narration n'aide pas, de sorte que ce qui est clairement du satanisme, du moins en utilisant la terminologie dominante, n'est pas perçu ou, s'il est deviné, il est interprété de manière grotesque et risible, comme le font tous les fondamentalistes de n'importe quelle religion qui sont généralement des artérioscléreux incapables de saisir l'essentiel et condamnés à l'embaumer dans des formules rigides et à l'imaginer de manière ridicule. Ainsi, ils ne le reconnaissent pas, au point que de nos jours, de petits gourous pseudo-traditionalistes pullulent, suintant le satanisme dans les gestes, les regards, les intentions, les paroles et même dans leur approche du traditionalisme qui est manifestement renversée et que quiconque a une familiarité avec le sujet n'aurait aucune difficulté à reconnaître. Ce sont de petits charlatans, nous en avons en Russie comme en Italie, et ils ont des disciples. Vers le néant. Ce n'est pas étonnant pour ceux qui ont les bonnes notions : c'est ce qui se passe régulièrement dans les moments, par ailleurs riches en possibilités de rupture positive, connus sous le nom de "deuxième religiosité", comme le nôtre.
    Mais c'est un fait secondaire de "milieu", ou plutôt de cirque. Le vrai problème, celui que l'on peut définir comme satanisme, ou tourbillon du Chaos, ou rébellion contre l'Olympe, réside dans la perte générale de lucidité et de hiérarchie comportementale et conceptuelle. On a tendance à opposer des digues qui ne peuvent pas tenir debout car elles reposent exclusivement sur le bon sens et le souvenir d'un passé, souvent exalté au-delà de mesure, mais on ne remarque malheureusement aucune tendance à une nouvelle Fondation des espaces et des valeurs qui, en soi, n'existent pas sinon comme expressions contingentes des principes. Par exemple, la famille traditionnelle, que l'on cherche sans grand succès à sauvegarder, a un peu plus d'un siècle et a été précédée par d'autres modèles de famille beaucoup plus traditionnels que celle-ci.

    On ne peut donc rien faire contre le déclin des mœurs, de la société, de l'éthique, contre le wokisme ? 

    Le seul véritable problème est démographique avec tous ses effets sur le changement de population. Le wokisme s'essoufflera de lui-même car il est le fruit d'un titanisme hystérique. En ce qui concerne la rectification, ou plutôt la régénération, de la société et de l'éthique (qui ne doit absolument pas être confondue avec les décalogues du moralisme qui en sont des ennemis), c'est une question d'interprétation, de conjonction entre l'essentiel et le contingent qui se traduit par des coutumes distinctes. Toute l'histoire des trois derniers millénaires montre que celles-ci diffèrent de manière incroyable au sein de différentes sociétés saines, qu'elles soient géographiquement ou temporellement lointaines. Il faut lutter contre la désagrégation en imposant des modèles positifs et conformes à l'époque, sinon cela ne sera pas possible. Mais pour ce faire, il faut précisément mettre de côté le moralisme et la prétention réactionnaire, qui ne fonctionnent pas. La politique de genre, par exemple, a peu ou rien à voir avec l'homosexualité ou la sexualité en soi, car elle vise (sataniquement, si l'on veut) à détruire l'identité pour faire de l'individu un atome aspiré par le tourbillon du Chaos. Lorsqu'on la combat non pour cette raison mais pour une question de morale sexuelle, on finit par s'accrocher à l'intolérance qui est typique des civilisations non indoeuropéennes, qui sont actuellement les plus rigides sur le sujet mais où l'homosexualité est pourtant plus répandue que chez nous. C'est commettre l'erreur égale et contraire des nations, en particulier nordiques, qui sont favorables aux gays non par attirance mais par tolérance indo européenne. Dans les deux cas, on ne saisit pas le sens de la bataille existentielle et spirituelle, dont le résultat n'a guère à voir avec l'homosexualité.

    Et comment mène-t-on une bataille traditionnelle tournée vers l'avenir?

    Si les critères fondamentaux et la hiérarchie des valeurs ne sont pas clairs, on ne peut rien faire ; si on les récupère, on le fera, car l'inventivité ne nous manque pas. Mais, avant tout, récupérons la boussole et nous découvrirons que nous sommes déjà libres et que nous devons simplement offrir aux autres notre liberté. Cependant, cela résulte d'un chemin que personne d'autre ne pourra parcourir à la place de chacun d'entre eux. Mais soyons surtout affirmatifs, actifs, créatifs et très éloignés de tout type d'abattement dépressif, masqué par la sagesse du lâche. Dans l'Affirmation est incluse la négation de tout ce qui la nie ; partir de la négation n'affirme rien, mais assaille et mortifie. Changeons de devise, s'il vous plaît : "Même si tous, moi oui !" 
    (cela est dit en relation au slogan "anticonformiste" italien qui récite "Même si tous, nous non !" et qui est la devise de la réaction émotionnelle)

     

  • Une vision verticale de l’Histoire de France

    par Georges Feltin-Tracol

     

    HM1.jpg« L’histoire sacrée se fonde sur les chroniques et la tradition », écrit Henry Montaigu dans La Couronne de Feu (1) qui vient de reparaître en tant que seconde réédition d’un essai sorti à l’origine sous un titre différent, Le roi Capétien (2), premier d’une série de quatre (Le roi Valois, Le roi Bourbon, Le roi et la Révolution). Mais fragilisé par des problèmes cardiaques, Henry Montaigu (alias Henry Roger Fauconneau, 1936 – 1992) qui s’investissait beaucoup dans sa revue La Place royale, ne souhaitait pas étirer et diluer son interprétation métaphysique. En 1995, les éditions Claire Vigne le rééditent de manière posthume sous un nouveau titre de La Couronne de Feu.

    « L’histoire, telle qu’elle est écrite depuis deux cents ans, n’est qu’une machine de guerre lancée contre les structures, les rythmes et la mentalité du monde traditionnel qu’il s’agit de déconsidérer de toutes les façons. » Henry Montaigu ne cache pas que son travail « se situe dans la ligne de l’immense labeur de défrichage entrepris par René Guénon. » Bien que signataire d’un René Guénon ou la mise en demeure (3), il se met dans son sillage. Poète (L’Arbre de Justice, 1972) et romancier (Le cavalier bleu, 1982), il signe une Histoire secrète d’Aquitaine (4) ainsi qu’une excellente étude dédiée à La fin des féodaux (Olivier Orban) en deux volumes : Le Pré carré du roi Louis (1980) et La Guerre des Dames (1981).

     

    Symbolique royale et érosion dynastique

     

    Le regard que porte Henry Montaigu sur l’Histoire de France s’opère à l’aune des principes, ces « manifestations dialectiques mais transcendantes des causes premières ». Sa démarche se veut par conséquent symbolique. Pour lui, « le symbole est un signe, un repère, un point de ralliement. Mais il est surtout un moyen, comme tel il a son importance, comparable à celle de l’outil : il ne saurait être considéré comme le but ». La pensée traditionnelle infuse et structure toute sa réflexion. Offrant au lecteur « une quête de mémoire intérieure », il défend bien sûr une idée certaine de la royauté française, mais il se méfie du « royalisme ». Son approche n’est donc pas politique; elle se veut métaphysique, ce qui n’empêche pas des positions véhéments, polémiques et tranchées. Il critique la tentative des Plantagenêts de fonder un Royaume de France et d’Angleterre (il oublie qu’avant d’être Louis VIII, le prince héritier fut en 1216 – 1217 proclamé roi d’Angleterre et aurait pu établir un Royaume d’Angleterre et de France…). Il conteste le projet néo-lotharingien de la Maison capétienne de Bourgogne à la fin du Moyen Âge. Il n’évoque même pas l’exemple de Henri III (1551 – 1589) qui, avant d’être roi de France en 1574 à la suite du décès de son frère Charles IX, fut roi de Pologne et grand-duc de Lithuanie en 1573 jusqu’à son abdication de 1575.

    Henry Montaigu s’insurge en outre contre les revendications des royalistes providentialistes qui attendent le surgissement millénariste du Grand Monarque. Il énonce par ailleurs les prétentions au trône de France des Bourbons d’Espagne, des Bourbons-Parme et des descendants de Naundorff, supposé être Louis XVII, le survivant évadé de la prison du Temple en 1795. Il accorde assez paradoxalement la légitimité aux cadets des Capétiens, à savoir la branche des Orléans. Or, quand il rédige cette somme historico-symbolique au milieu des années 1980, Henri d’Orléans, comte de Paris (1908 – 1999), vient de destituer son fils aîné Henri, futur comte de Paris (1933 – 2019), en faveur de ses deux petits-fils Jean et Eudes aux dépens de leur propre frère aîné François (1961 – 2017) gravement handicapé et lui-même écarté de la succession dynastique dès 1981 par son grand-père... Aujourd’hui, la Maison d’Orléans – que Montaigu qualifie « de France » - se déchire entre Jean d’Orléans, comte de Paris depuis 2019, et son cousin, le duc Charles-Philippe d’Anjou. Le premier désapprouve le remariage civil du second, le 9 septembre 2023, qui s’élève à son tour contre son chef nominal. La Modernité affecte tout, y compris et surtout les plus vieilles lignées. « La multiplication des contingences est le fait particulier de la période moderne. » Est-ce l’indicateur de son érosion ?

    « L’homme spirituel devrait pouvoir, en principe, ne pas se soucier de l’histoire – mais il doit en avoir une idée schématique juste, et il ne saurait être impunément immergé dans une vision fausse. » La Couronne de Feu présente un point de vue traditionnel de l’Histoire de France. À côté de la réhabilitation du terme symbolique d’« Île-de-France », Henry Montaigu affirme que « Versailles est un des plus parfaits exemples de cette logique du Retour à ce qui est, et qui seul peut produire un renouvellement légitime des formes ».

     

    « Anarchie plus un » ou la transcendance des ordres sociaux

     

    Attaché au Moyen Âge, l’auteur considère que « la féodalité est un ordre qui ressemble à une anarchie. L’anarchie existe, certes, mais elle se situe à l’intérieur de structures d’autant plus fortes qu’elles n’ont pas un caractère réellement formel ». Il ajoute ensuite que « l’ordre final est composé de la somme de tous les désordres ». Par ailleurs, Henry Montaigu examine avec attention la période où coexistent les derniers Carolingiens et les premiers Capétiens qu’il faudrait plutôt qualifier de « Robertiens ». En effet, fils de Robert le Fort, marquis de Neustrie, Eudes est roi des Francs en Francie occidentale de 888 à 898. Son frère cadet, Robert Ier devient lui aussi roi des Francs entre 922 – 923. Son petit-fils, Hugues Capet (987 – 996), fondera la dynastie des Capétiens qui régneront en France jusqu’en 1848, mais aussi dans la monarchie hispanique, dans l’Empire latin de Constantinople, au Portugal, au Brésil, en Hongrie, au Luxembourg et dans divers États italiens.

    Henry Montaigu se contredit parfois. « Le Christianisme n’est en aucune façon théocentrique. » Or, « la monarchie française est une institution du Paraclet, le fruit direct de l’ordre de Dieu ». Il découle de ce fait que « le Capétien, qui exerce une fonction théocentrique, est le médiateur évident et le maître d’œuvre mystérieux de la construction médiévale. Il n’a pas de pouvoir – et tout se fait par lui ». Belle métaphore historique du « moteur immobile » qui intervient sans action directe immédiate. Ainsi « dans toute société traditionnelle, les rapports entre la terre et le ciel, l’homme et le cosmos visible et invisible, sont déterminés, concrétisés et harmonisés par le Souverain qui exerce la monarchie universelle au sens vertical de ce terme : c’est-à-dire que le roi est tout à la fois l’image du soi, l’image médiatrice de l’avatara ou descente divine, et l’image du dieu-roi, dispater et principe métacosmique. En lui se réfléchit l’unité fondatrice originelle. Il est au-delà des castes et des classes, et il n’en est aucune qui ne participe directement de lui. De même, il qualifie et détermine l’espace. Il fait le royaume ou la cité et vit et règne en son centre. Il est le maître et le gardien du rituel, veille à ce qu’il ne s’altère ni se déplace. Il est également sacrificateur et peut donc être qualifié de prêtre, bien que ce terme de roi-prêtre ne soit pas sans équivoque ».

    L’auteur estime que sur le plan historique, les Mérovingiens, les Carolingiens et les Robertiens – Capétiens ont « représenté ou symbolisé trois aspects du sacré qui allaient faire s’épanouir le monde médiéval et qui sont respectivement : la Connaissance, la Royauté universelle (c’est-à-dire à la fois temporelle et spirituelle), les Œuvres enfin, ce qui “ fonde “; ce qui “ harmonise “; ce qui “ sanctifie “ - et dont les archétypes sont pour chaque lignée Clovis, Charlemagne et Saint Louis : l’Élu, l’Empereur, le Saint ». C’est la raison pour laquelle « la monarchie est une puissance pour la plupart du temps non-intervenante ».

     

    La vocation déviée de la France d’Empire ?

     

    Henry Montaigu considère finalement que « le roi de France, investi d’une bénédiction directe et principielle (Reims) et le seul véritable “ roi des rois “ et dont la magistrature, hors du royaume (où il est “ empereur en ses états “) est non temporelle ». Il assure même que « c’est la Maison de France qui allait assumer en fait la royauté universelle au sens spirituel et non territorial du terme ». Cette vocation se lie-t-elle au « destin spirituel de l’Occident [qui] est mystérieux » ? L’auteur ne peut pas dès lors ne pas évoquer l’Empire.

    Il rappelle d’abord que « la vieille cité des Parisis avait un temps fait fonction de tête d’empire à l’époque de l’empereur Julien dit l’Apostat. De même, n’avait-on peut-être pas oublié que le premier roi fédérateur, père de la dynastie fondatrice des Mérovingiens, avait choisi Paris pour être la capitale du nouveau royaume franc ». Les Francs sont-ils par téléologie un peuple d’Empire ? Avec Clovis qui rassemble sous son autorité Germains et Gallo-Romains, voire Burgondes, puis avec Charlemagne qui gouverne Francs, Lombards et Latins, la réponse est positive. Pour Henry Montaigu, « l’empire est une dignité à perspective théocratique », car c’est dans « l’idée universelle d’empire sacré (roi des rois) […] [qui] résidait le principe originel de légitimité spirituelle et de représentation symbolique de la royauté divine ». Toutefois, il n’approfondit pas « l’idée même de Saint-Empire, troisième fondement de la Chrétienté temporelle ». S’il perçoit Napoléon III comme l’« ultime représentant de la filiation française de l’idée d’Empire », il oublie ou semble ignorer les prétentions de quelques rois de France (Charles VIII, François Premier, Louis XIV) à ceindre la Couronne de fer.

    En 2000, Alexandre Y. Haran a publié Le Lys et le Globe (5) qui s’intéresse à ces revendications méconnues. « Les trois couronnes essentielles et complémentaires de la Chrétienté, celle de France, celle de l’Empire et celle de la Papauté ont beaucoup de mal à vivre ensemble les contingences historiques et le perpétuel dérapage des temps. » Pour Henry Montaigu, « Charles-Quint et Napoléon prouvent tous deux qu’on ne peut faire l’Empire sans la France et que la France seule ne fait pas l’Empire ».

    Très hostile à la politogenèse européenne commencée par la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) en 1951 et poursuivie par l’actuelle Union pseudo-européenne, Henry Montaigu ne rejette néanmoins pas l’Europe. Il exprime en revanche un grand pessimisme à son sujet. « L’Europe souffre de cette perte de centralité et d’une crise d’égalitarisme absurde et malsain dont la restauration des principes pourrait seule venir à bout. On ne change pas de symbole. On ne se défait pas des institutions traditionnelles sans de graves inconvénients. Centrifuge et absente d’elle-même, stérile en ses parties comme en son tout il deviendra bientôt tout à fait impossible que l’Europe puisse jouer – sinon à l’envers – le rôle archétypal et modérateur dont le monde a plus que jamais besoin. » Il prévient que « si la culture est l’arme secrète et l’unité cachée de l’Europe, le multiple est donc sa force, sa richesse et sa fécondité ». Entre un souverainisme national vétilleux et un soi-disant continentalisme cosmopolite, Henry Montaigu entrevoit une « troisième voie » européenne et chrétienne qui n’a aucun rapport avec le détournement en cours du concept subsidiariste de « synodalité » par l’actuel anti-pape Bergoglio. Catholique pratiquant qui récuse les vaines querelles entre traditionalistes et progressistes, Henry Montaigu parie même que « le temps viendra donc d’une autre Église; une autre Église pour un autre temps pour un autre monde ».

     

    Demain un œcuménisme impérial euro-chrétien ?

     

    Il est fort probable qu’en 2003, Jean-Luc d’Albeloy ait lu La Couronne de feu quand il expose ses « Esquisse d'un manifeste pour une nouvelle Chrétienté ». Dans une perspective impériale – chrétienne parallèle au « catholicisme d’Empire » de Jean Parvulesco, il propose qu’« à l’égard de la confession majoritaire sur le continent, le catholicisme romain, il convient de veiller à désamorcer le tropisme universaliste, issu de l’évolution de sa théologie, que son poids quantitatif renforce encore. Dans cette optique, il est indispensable que ses fidèles acclimatent la notion d’“ Église catholique européenne “ - ou d’“ euro-catholicisme “ -, en redéfinissant le sens du mot “ catholicisme “ (du grec katholikos : “ universel “, ou plus précisément “ selon le tout “, la nuance étant évidemment d’importance), au spirituel comme au temporel. Au spirituel comme “ cosmicisme “ : une foi dans l’ordre de l’univers, le “ Tout “ cosmique, et non un universalisme. Au temporel, comme “ œcuménisme impérial “ : une Église couvrant le “ tout “ de l’Europe, mais non la planète selon un mondialisme indifférencié. Car une tradition religieuse ne peut cultiver la connaissance la plus élevée qu’en s’enracinant dans le sol d’une civilisation précise (6) ».

    Jean-Luc d’Albeloy croit un peu naïvement qu’à la suite de cette révolution conservatrice intégrale, « la Chrétienté, ainsi rendue à sa substance ancienne pour l’accomplir, apparaîtrait à nouveau clairement, à l’âge postmoderne, comme ce qu’elle n’a jamais cessé d’être inconsciemment : un Corps mystique européen, animé par une foi pagano-chrétienne, conservée hors d’atteinte des altérations extérieures dans les expressions de son symbolisme. Disposant aujourd’hui d’un potentiel de quelque 550 millions de baptisés (287 millions de catholiques, 86 millions de protestants et 167 millions d’orthodoxes), cette Chrétienté régénérée pourrait ramener l’unité spirituelle à l’intérieur des frontières du continent, sans chercher à prolonger cette unité à l’extérieur de celles-ci, ce qui ne constituerait guère qu’une ingérence illégitime dans la vie religieuse propre des autres espaces civilisationnels. Enfin, au plan intérieur des États européens, à l’opposé des principes délétères de la “ laïcité “, les Églises nationales, exerçant une souveraineté spirituelle sur leurs peuples de fidèles, dont elles défendraient étroitement les intérêts temporels tout en les guidant vers leur bien spirituel, devraient disposer à cette fin d’un large champ de compétence : connaissance (métaphysique, philosophique, scientifique), culte (liturgie, sacrements, entretien des lieux de culte) et enseignement (formation du sacerdoce; formation religieuse des laïques; patronages; scoutisme; enseignement scolaire primaire, secondaire et supérieur, ainsi que professionnel). Soit une expression chrétienne des exigences pérennes de la “ première fonction “ de la tripartition indo-européenne, si bien mise en lumière par Georges Dumézil. Afin de retrouver cette verticalité qui seule permet de vivre debout (7) ».

    Henry Montaigu insiste finalement « sur le fait que tout redressement véritable passe par la résurrection du sacré c’est-à-dire par la libération des principes et leur application à tous les domaines ». Il en appelle donc à une révolution au sens étymologique du mot qui signifie en latin « faire revenir en arrière, à un point précis ». Il envisage avec une belle sérénité une eschatologie (méta)politique marquant le réveil des âmes les plus hardies, prêtes à « chevaucher le tigre » et à surmonter le Kali Yuga afin de préparer une autre aurore civilisationnelle féconde. Il est évident que, pour lui, « le monde moderne sera renversé comme il a lui-même renversé le monde ancien ». Souhaitons seulement que ce renversement soit anagogique et non pas involutif…

     

    Georges Feltin-Tracol

     

    Notes

     

    1 : Henry Montaigu, La Couronne de Feu. Symbolique de l’Histoire de France, Saint-Léger Éditions - Quint’feuille, 2023, 408 p., 22 €.

     

    2 : Henry Montaigu, Le roi Capétien, Dervy-Livre, coll. « Vision spirituelle de l’Histoire », 1987.

     

    3 : Henry Montaigu, René Guénon ou la mise en demeure, Éditions de La Place royale, 1986.

     

    4 : Henry Montaigu, Histoire secrète d’Aquitaine, Albin Michel, coll. « Histoire secrète des provinces françaises », 1979.

     

    5 : Alexandre Y. Haran, Le Lys et le Globe. Messianisme dynastique et rêve impérial en France à l’aube des Temps modernes, Champ Vallon, coll. « Époques », 2000.

     

    6 : Jean-Luc d’Albeloy, « Esquisse d'un manifeste pour une nouvelle Chrétienté », mis en ligne en 2003 sur Granika et Vexillia Regis.

     

    7 : Idem.