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Des conflits saugrenus

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Spécialisé dans le roman et l’humour, Bruno Léandri a collaboré au mensuel dessiné caustique Fluide glacial. Bruno Fuligni a rédigé en un quart de siècle une quarantaine d’essais aussi originaux les uns des autres tels L’Évêque Cauchon et autres noms ridicules de l’Histoire, Petit Dictionnaire des injures politiques ou L’Art de retourner sa veste. De l’inconstance en politique. Les deux s’associent pour signer Les guerres stupides de l’Histoire.

 

Ils présentent dans l’ordre chronologique et en partant de la Guerre de Troie (1300 avant Jésus-Christ) une cinquantaine d’évènements dont les causes ou le déroulement leur semblent incongrus. Ils ont tendance à dilater la notion de guerre puisqu’ils y intègrent des contentieux parfois violents, mais rarement sanglants. En des notices plus ou moins fournies, ils insistent sur le caractère inepte de ces guerres.

 

Leur démarche écarte sciemment la dimension politique inhérente à la conflictualité, surtout si elle concerne les États. Carl von Clausewitz rappelle que « la guerre est […] un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté (1) ». L’officier prussien constate par conséquent que « la guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une poursuite des relations politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens (2) ». Ainsi tout prétexte, même futile, peut-il servir au déclenchement des hostilités.

 

En 1739, un capitaine espagnol coupe l’oreille de l’Anglais Robert Jenkins. Ce dernier exige justice devant le Parlement de Londres. Une escadre de Sa Gracieuse Majesté cingle vers les Caraïbes… Bruno Léandri commet divers anachronismes : il mentionne les termes « britannique » et « Royaume-Uni » qui n’apparaîtront qu’en 1800 avec l’acte d’union. Il écrit que ce conflit mineur se passe pendant « la Guerre de Succession d’Espagne en 1742 ». Il s’agit en fait de la Guerre de Succession d’Autriche (1740 – 1748).

 

Par « stupide », il faut surtout comprendre « dérisoire » et « picrocholine ». En 2007, « une colonne de cent soixante-dix soldats helvétiques » s’égare dans la nuit et par mauvais temps, franchit une frontière et se retrouve au… Liechtenstein ! Dans les années 1970, les panneaux de signalisation français disparaissent ou sont vandalisés par quelques habitants de l’enclave espagnole de Llivia aux confins de la Cerdagne et du Roussillon. Ces auteurs signalent le bombardement de la Cité du Vatican en 1943 et le blocus frontalier français de la principauté de Monaco en 1962.

 

Bruno Fuligni raconte un conflit insolite survenu en 1932 : « la grande guerre des Émeus », soit de « grands oiseaux coureurs d’Australie, cousins des autruches, qui peuvent mesurer jusqu’à 2 mètres de haut ». Ces animaux dévastent les champs de céréales à l’Ouest de l’île – continent. Les farmers veulent l’éradication de cette nuisance. « Le ministère de la Défense mobilise […] le 7e corps de batterie lourde de la Royal Australian Artillery ». Commence alors « la première guerre inter-espèce de l’Histoire » qui s’achève par la victoire improbable des émeus ! Aujourd’hui, cette espèce protégée cause toujours des dégâts que les autorités indemnisent aussitôt.

 

En 1795 se produit un haut fait d’arme des troupes révolutionnaires en lutte contre les Provinces Unies. Les Hollandais pensent que « leur territoire inondable et parcouru de canaux devrait être un cauchemar pour l’infanterie française ». Or l’hiver rigoureux gèle tout si bien que les navires hollandais sont pris dans les glaces et deviennent des proies faciles. C’est la bataille du Helder. « Dans toute l’histoire humaine, c’est la seule bataille navale gagnée par la cavalerie ! »

 

Un facteur de guerre peut être une rencontre de football. En 1969, lors des qualifications au Mexique à la Coupe du monde de 1970, « le Salvador gagne aux tirs au but » contre le Honduras. S’en suivent des bagarres entre supporteurs. Dans chaque capitale, les commerces des Salvadoriens et des Honduriens sont saccagés. Les deux États voisins s’invectivent ouvertement. Le 14 juillet 1969, les Salvadoriens envahissent le Honduras et bombardent la capitale Tegucigalpa. Les États-Unis et l’OEA (Organisation des États américains) jouent les médiateurs et parviennent à un cessez-le-feu quatre jours plus tard. Cette « guerre de cent heures » a quand même provoqué « deux à trois mille morts, principalement des civils ».

 

En 1870, le « Grand Capitaine des siècles » de la Bolivie, Mariano Melgarejo (1820 – 1871), ne cache pas sa francophilie et son admiration pour Napoléon Bonaparte. Quand il apprend la défaite des Français face aux Prussiens, il mobilise ses forces. « La petite armée bolivienne s’élance à travers l’Altiplano, sabre au clair dans le vent glacé, pour secourir la France » sans savoir la localiser correctement sur une carte. Le dirigeant suprême juge alors plus sûr de rebrousser chemin…

 

Bruno Léandri aborde deux féroces conflits méconnus en Europe et qui frappent l’Amérique du Sud. Le premier est la Guerre de la Triple Alliance (1864 – 1870) qui oppose le Paraguay à la coalition de l’Argentine, de l’Empire du Brésil et de l’Uruguay. Soucieux d’exploiter une soi-disant niaiserie dans l’origine immédiate de la guerre, vraie saignée démographique masculine pour la société paraguayenne, l’auteur occulte tout raisonnement historique sur la longue durée, car certaines causes remontent au temps mouvementé des indépendances nationales dans la deuxième décennie du XIXe siècle (3). Le Paraguay gagne en revanche la guerre contre la Bolivie entre 1932 et 1935. La Paz et Asuncion voulaient s’emparer du vaste territoire désertique du Chaco supposé riche en pétrole. La cuisante défaite bolivienne alimente le sursaut nationaliste et prépare la « Révolution nationale » de 1952…

 

Les deux guerres mondiales du XXe siècle et l’actuel conflit russo-ukrainien n’auraient-ils pas eux aussi des facteurs déclencheurs absurdes ? Bruno Fuligni et Bruno Léandri se gardent bien d’émettre le moindre avis. Ils omettent par ailleurs toute allusion aux tristement fameuses « interventions humanitaires » de l’après-Guerre froide (Somalie, Haïti, Bosnie, Kossovo, Afghanistan, Irak, Sahel…). La véritable ineptie n’est-elle pas de dépolitiser la guerre et d’n faire une opération impolitique de police internationale au service de l’Occident mondialiste ?

Georges Feltin-Tracol

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