par Gabriele Adinolfi
Il y a des intellectuels, des chercheurs et des penseurs souvranistes de qualité. Pas en Italie où tout ce qui touche à la politique est réduit à un vaudeville de bas étage. Et, rassurez-vous, pas même en Russie où il n'y a qu'une lourdeur infinie liée à une tristesse cosmique.
On les trouve dans divers pays : France, Angleterre, Suisse, Amérique Latine, et peut-être ailleurs. Leurs analyses critiques du système mondial ne sont que de lointaines parentes des représentations primitives et grossières qu'en font la droite terminale et le populisme occidental, capables de rendre ridicule même ce qui ne l'était pas à l'origine et de tout transformer en une complainte impuissante.
Pourtant, même eux, qui auraient les outils intellectuels pour assumer un autre rôle, se sont glissés dans une impasse en raison d'une très grave erreur de construction.
Le souverainisme a pris forme après la chute du mur de Berlin
et l'implosion de la féroce marionnette russe, le meilleur stabilisateur de l'impérialisme américain de tous les temps.
L'effondrement de Moscou a fait disparaître la logique bipolaire qui permettait la meilleure gouvernance mondiale et depuis, les mutations de la gauche au sens global et des droits civiques (Open Society) ont commencé pendant qu'au niveau des services de renseignement on denonçait la nouvelle "menace" qui aurait remplacé, dans son comportement et son rôle, celle soviétique : le danger islamique.
A tort, on s'est mis à parler d'un projet de gouvernement mondial, alors que la gouvernance était non seulement suffisante et bien avancée mais elle était - et l'est - beaucoup plus solide et efficace. La chute du masque de la guerre froide (qu'on essaie aujourd'hui de re-proposer en exploitant la bêtise chronique du Kremlin), pour la stabilité psychique des masses, a nécessité la réalistation des menaces internes (guerres civiles, épidémies) et externes (avant que la Russie ne tente à nouveau de ressusciter une obsolète, c'était le terrorisme, pas par hasard aujourd'hui en catimini).
Paul Valéry
célèbre poète français au tournant des 19e et 20e siècles, a dit "Ce qui est simple est faux, ce qui ne l'est pas est inutilisable".
On ne peut gouverner une masse de sujets exprimant la complexité, mais seulement des thèmes simples et engageants, créant sans cesse une situation anxiogène, dans l'irrésolu, et proposant des utopies à court terme. Cela a été fait, au moins de 2001 à aujourd'hui.
Mais ce n'est pas un complot, c'est une technique propre à la soi-disant post-démocratie, qui est une ultra-démocratie de l'impuissance qui aboutit toujours à une gestion autoritaire et totalitaire, quoique avec un sourire de bonnes consciences
L'énorme erreur des souverainistes
a été de croire que tout cela était une manœuvre de l'Hyperclasse pour priver le peuple du pouvoir, d'où est alors née la plaisanterie du clash peuple/élite.
Ce n'est pas du tout le cas, car les prétendus peuples sont des masses qui demandent une laisse et une muselière et ne sont pas du tout dupes, loin de là !
Même lorsqu'ils s'insurgent contre le pouvoir politique, dans leur assemblage ultra-montagnard, ils exigent des interventions tyranniques.
Mais aussi parce que ce qui est définie comme l'Hyperclasse est encore interprétée de manière réductrice et grossière. Certaines des presupposés souverainistes sont à la fois vraies et fausses. Certes, l'Hyperclasse répond à des idéologies et même à des confessions particulières qui influencent grandement le message politique et social et la structure culturelle. Cependant, il est insensé de penser que les migrations de masse ne dérivent que de cela et n'ont rien à voir avec la démographie et la communication moderne, ou que l'idéologie écologique qui veut transformer l'économie elle-même n'a rien à voir avec les ressources énergétiques et avec la nouvelle géo -économie qui en découle..
L'arbre est dans son bourgeon
Les souverainistes ont fait une erreur d'interpretation parce qu'ils sont réactionnaires et, comme tous les réactionnaires, même les plus intelligents, ils possèdent une vision statique de la réalité : ils s'attardent donc sur les acteurs, sur les gestionnaires du pouvoir, affirmant à juste titre que celui-ci est indépendant de la politique institutionnelle dialectique et des frontières géographiques de l'État. En revanche, les progressistes perçoivent tout en mouvement, ils s'attardent sur la dynamique et ne donnent pas assez de poids à ceux qui tiennent les rênes.
Aucune de ces cultures politiques ne voit jamais le tout ; l'une et l'autre manquent de la Synthèse (du et et) typique des révolutions ou de la médiation des cultures de gouvernement. Qui peuvent alors fusionner comme l'enseigne l'Italie mussolinienne.
Ainsi pour les progressistes le processus est irréversible et pour les réactionnaires il doit être bloqué.
Deux manières égales et opposées de lever la main en l'air et de ne rien compter.
Hyperclasse
L'hypothèse selon laquelle il y aurait une hyperclasse unie et hostile au reste du monde est très discutable.
L'écart culturel et formel entre elle et les masses de sujets est en grande partie l'effet du temps. Sa cohésion est une exagération. Sans doute y en a, comme à chaque époque et dans chaque situation, au stade de la défense des privilèges, mais pour tout le reste interviennent des guerres intestines, pour le moins féroces, comme cela s'est toujours produit dans l'histoire.
De plus, la décomposition de l'architecture sociale bourgeoise rend la formation et le changement générationnel plus difficiles. C'est pourquoi aujourd'hui le jeu comme jamais se joue sur la formation des élites, ce qui est la seule chose qui devrait nous intéresser. Une élite capable de gérer autrement les processus d'époque, non dupe d'arrêter le temps et de revenir à un hier non électrisant.
Je l'ai écrit il y a vingt et un ans dans Il nuovo ordine mondiale tra imperialismo e Impero.
Mais elle ne peut s'accompagner des fossilisations réactionnaires
La tentation souverainiste
non seulement a le défaut d'êtree tiré par les cheveux, moins pour ses presupposés floues que pour ses conclusions erronées, mais celui, beaucoup plus grave, d'endosser le rôle de sabotage et de lest au sein des nations où elle se produit. Quel que soit le phénomène qu'il s'agit de gérer (pensez à la nouvelle économie, à la verte), si on n'arrive pas à l'assumer en le modifiant mais qu'on essaie d'y opposer des frictions, le seul résultat qui s'ensuit est de profiter à des concurrents qui n'ont pas ce problème ou qu'ils surmontent en deux secondes, comme les États-Unis et la Chine, nous laissant derrière.
Rien n'est essentiellement plus hostile à la souveraineté que la soi-disant souverainisme qui, pas par hasard, a tourné le dos à l'idée d'Europe. Parfois faisant recours dérisoire à quelque chose qui n'arrivera jamais, comme l'hypothèse d'en faire une autre demain, au lieu de se battre aujourd'hui dans cellle-ci, pour cellle-ci et contre une partie de celle-ci.
Ils nous disent que l'E est une caricature de l'Europe
qui n'est pas la nôtre, qui est sa négation. Mais ce n'est pas notre Italie non plus et, mis à part le folklore néo-bourbon, personne ne songe à dire qu'on ne pourra pas la changer. Demandons-nous pourquoi ce non-sens est dit si souvent lorsqu'il s'agit de l'UE. Si l'on devient anti-européen, in primis on abandonne le mythe, in secundis on ne milite pas en faveur de l'avenir de notre lignée, de notre terre et de notre civilisation, in tertiis on déserte non seulement tout engagement révolutionnaire mais tout rôle concret .
C'est l'effet de l'erreur de réglage que nous avons dénoncée : la perte du sens du mouvement. Sans quoi on ne peut concevoir la seule chose vivante, faisable et créatrice qui existe, qui est de modifier le mouvement, tel qu'enseigné par toute, et je répète toute, expérience révolutionnaire de l'histoire.
Lequivoque souverainiste est un vrai sérum paralysant
Du premièr postulat erroné, qui est l'unicité et la compacité de la classe dirigeante, découle le repli dans la marginalisation et la ghettoïsation avec l'effet des sermons de Savonarole. Il s'ensuit l'absurdité de vouloir réveiller un peuple imaginé comme trompé, capable et désireux d'exercer une souveraineté par le bas, en vertu de laquelle on s'accroche à une superstition démocratique ravivée, impensable, hors du temps et absolument en contraste avec la culture e la droite radicale qui s'en approprie dans son actuelle phase terminale.
Dénuée de mythe, infectée par l'esprit des autres, se dirigeant vers l'irréel et l'impossible, manifestement impuissante, la désinterprétation souverainiste entraîne les inévitables réactions émotionnelles à l'échec : la désillusion et la colère. Sans comprendre que la façon dont les choses sont perçues est déformée par de fausses prémisses, étant donné que le peuple ne se réveille pas et que la classe dirigeante ne fout pas le camp, au lieu de travailler sur soi pour changer ses attitudes et ses comportements, on finit invariablement par décider que jusqu'à ce que tout ne s'effondre (implosion, convergence de catastrophes, avènement d'une domination extérieure) rien ne pourra changer et ainsi on finit par souhaiter chacune de ces éventualités, ne réalisant pas, ou ne voulant pas réaliser, que c'est préciesement celle-ci la preuve la plus claire de son propre échec. Pour ne pas agir sur soi et ne pas se remettre en question, tout devient alors meilleur qu'ici, même ce qui est objectivement et incontestablement pire.
La fascination pour des modèles
bruts, brutaux, incomplets, d'un système mondial, de plus en plus interdépendant, est quelque chose à partir de laquelle on finit par pardonner n'importe quelle souillure à ceux qui devraient abattre les murs dans lesquels le souverainiste se croit enfermé. Au point de trahir les symboles, òes attaches, les références historiques, au point de justifier la "victoire patriotique" russe de 1945 ou d'éprouver des attraits exotiques pour des modèles efficaces mais étouffants comme le chinois. Parce que tout serait mieux qu'ici.
La vérité inavouée, c'est qu'on ne reussi à rien faire ici et ce non pas parce qu'ils nous empêchent de le faire scientifiquement, comme nous le prétendons, étant donné qu'on pourrait difficilement mettre en crise une réunion de copropriété, mais parce que, éblouis par l'erreur réactionnaire avec laquelle la souverainisme a voulu tirer les conclusions de prémisses pas tout à fait fausses, nous nous sommes enlisés dans des sables mouvants, anéantissant nos forces vitales.
S'impliquer
Comme je l'ai dit plus haut, et comme je le répète depuis des décennies, aujourd'hui comme jamais le jeu se joue sur la formation des élites, ce qui est la seule chose qui devrait nous intéresser. Une élite capable de gérer autrement les processus d'époque.
Il faut tendre vers ce but, et pour cela il faut récupérer, capitaliser, mais rendre effectives et non paralysantes, les prémisses analytiques à partir desquelles le souverainisme était partie, se perdant par la suite du fait de la faille réactionnaire que nous avons constatée.
Mais pour ce faire, nous devons être prêts à nous mettre en jeu et à abandonner les sermons apocalyptiques, les schémas abstrus et les dogmes invalidants que nous avons nourris comme des imbéciles au cours des trente dernières années.